Terrorisme au Sahel : Le jeu malsain de la France, de son armée et de ses politiques
Que cherche la France au Tchad ? La question mérite d’être posée quoi que la réponse soit connue de tous.
Tous les analystes de l’histoire de cet immense camp militaire français placé sous le regard permanent du ministère français de la Défense et de la DGSE, vous répondront que jamais il n’y eut de gouvernement au Tchad qui n’ait bénéficié pour s’installer, se perpétrer au pouvoir, ou en être éjecté, d’un coup de main de l’armée française ou celle des mercenaires français, services secrets ou de manipulateurs de constitution ou d’élection… Les noms sont connus.
Depuis presque un siècle, ce pays remplit à merveille les fonctions de réservoir de légionnaires nègres, recrutés et formés pour assouvir les desseins impérialistes de la France. Déjà en 1941, c’est de ce territoire que sont parties les premières colonnes de la résistance française pendant la seconde guerre mondiale sous le commandement du Colonel Leclerc, pour marquer la première victoire signifiante avec la prise de Koufra dans le Sud-est libyen.
Le Régiment de Marche du Tchad était constitué, entre autres, de braves jeunes gens arrachés à leurs familles et à leurs champs et embarqués dans une guerre qui n’était pas la leur. Les recrues étaient pour la majorité, issues des zones centrales et méridionales du territoire.
L’infanterie coloniale après des victoires mémorables au Fezzan se retrouvera associée à la Deuxième Division blindée et c’est ce Régiment de Marche du Tchad qui le premier livrera la bataille de Normandie avant d’entrer dans Paris qu’il libérera. Il en sera bien sûr payé en monnaie de singe.
Ces jeunes gens ont été traînés par la suite sur tous les champs de répression des luttes de libération des peuples soumis aux conquêtes coloniales de la France, en Indochine, en Algérie, à Madagascar, au Cameroun où ils ont participé activement aux massacres des partisans de l’UPC…
« Évidemment, à ce jeu tout aussi bien notoire, jus d’orange pressé, peau d’orange jetée. L’installé adoubé et célébré à son arrivée est dégommé dès qu’il commence à tousser hors du masque et refuse d’obéir », écrit Koulsy Lamko dans une analyse consacrée à la France en Afrique publiée sur seneplus.com, un média sénégalais.
Et dans le sillage de ces mouvements de pièces de rechange ou de jeux de chaise, ce sont non seulement des centaines de jeunes qui crèvent, mais également un arrière-pays figé, pris en otage, statufié dans une misère moyenâgeuse. Et l’on agite le spectre de l’instabilité, l’épouvantail du chaos que l’on provoque soi-même ! Et dans la balance s’accumulent tous les arguments du chantage !
Le journaliste sénégalais estime que le « bon sens impose tout de même quelques questions pêle-mêle, devant tant de paradoxes ».
En effet pourquoi l’armée française a-t-elle stationné ses bases militaires dans les capitales d’une bonne partie de ses néo colonies ? On me répondra comme un leitmotiv : les accords de défense et monétaires qui cèdent à la France le monopole énergétique et celui de l’exploitation des ressources minières.
Mais ces accords ont-ils été signés pour une vigueur et une validité ad vitam aeternam ? D’autre part, pourquoi donc l’armée tchadienne dont on dit qu’elle est extraordinairement performante, bien équipée au point d’assurer la défense des autres pays, n’est-elle pas capable de veiller à l’intégrité de son propre territoire ?
Qui donc ira voir les djihadistes ? Qui donc a armé Boko Haram ? Le Nigeria, première puissance économique de l’Afrique et avec une population de 220 millions d’habitants (quinze fois celle du Tchad, avant-dernier pays dans le classement de l’indice de développement humain) aurait-il le bras trop court pour se délivrer d’une bande d’illuminés sanguinaires ?
Qui donc l’en empêcherait ? Ont-ils tort ceux qui, constatant l’époustouflante qualité des armes et des costumes d’apparat de l’armée tchadienne, affirment que l’argent du pétrole est englouti par le négoce juteux de l’industrie d’armement française, belge, européenne ?
Et Glencore dans tout ça ? A-t-on nécessairement besoin d’un intermédiaire qui par la ruse et l’instinct de prédation s’arroge une bonne partie des dividendes des ressources pétrolières ?
« À la vérité, l’armée française invitée pour lutter contre les djihadistes au Sahel, si tel est son objectif en s’y éternisant, n’a pas besoin de militaires tchadiens pour mettre fin à la prétendue expansion terroriste. Nul secret pour personne que les forces d’intervention militaires, qu’elles soient celles de l’ONU ou celle des armées qui viennent à la rescousse des pays dont elles ont aidé à provoquer l’éclatement, n’interviennent que pour des intérêts économiques et/ou géostratégiques », lit-on encore sur seneplus.com.
Les Français, « pyromanes et pompiers à la fois »
Pour les experts, les djihadistes, la France les a armés par l’effet domino de la destruction de la Libye qu’elle a orchestré. La dissémination de l’arsenal de Kadhafi était prévisible et même annoncée si l’on se réfère aux analyses des think tanks tels que Crisis Group qui prévoyaient la déflagration de la Jamahiriya. (Ces mêmes analystes annonçaient déjà en janvier 2021, les fissures dans l’armée de Deby.) Les djihadistes, la France connaît très bien leur agenda.
À preuve, le « Patron de la DGSE » qui semblait, il y a quelques mois, divulguer l’ordre du jour d’une réunion secrète de leurs chefs, réunion qui prévoyait leur avancée jusqu’au golfe de Guinée !
A priori, avec toute l’armada technologique de surveillance territoriale, la force de frappe aérienne, nourrie d’avions de chasse et de drones qui pullulent, l’armée française n’aurait pas vraiment besoin de ses légionnaires nègres tchadiens pour déloger et anéantir les forces du présupposé terrorisme.
Cependant, la légion nègre est plutôt indispensable pour crédibiliser le théâtre d’ombres qui se joue dans cette région où le maintien du statu quo, avec les complicités tantôt balisées par les accords brinquebalants, préfigure peu ou prou la réorganisation des territoires coloniaux.
Ce serait un euphémisme que d’évoquer juste la mise en branle d’accords bilatéraux de défense. Il s’agit d’occupation militaire programmée à partir d’analyses prospectives pour sécuriser les terres riches du continent.
L’aliénation culturelle ne suffit plus pour contenir le pré carré des néo-colonies dans le statut de la confortable vassalité francophone… non plus pour s’assurer le monopole des ressources ad vitam aeternam.
Devant l’appétit vorace de la Chine dont on n’attendait pas de sitôt qu’elle devienne la première puissance économique du monde, devant la Russie pugnace que l’on croyait difficilement renaître de ses centres après le démantèlement de l’URSS, devant la Turquie qui se prend à jouer dans la cour des grands et enfin les USA qui révisent leur position d’antan relative au plan Marshall, il s’agit d’occupation militaire, de reconquête et redécoupage des territoires : le continuum de la Conférence de Berlin…
Une chose est sûre et certaine, au risque de se répéter et de l’ânonner, les ruptures avec la Françafrique, c’est aux peuples africains d’en prendre l’initiative ; coûte que cela coûte.
Les multiples bases militaires françaises dans les capitales françafricaines sont soudain devenues trop étroites, sans doute. Pour les puissances, la stratégie du chaos est peut-être l’étape transitoire nécessaire à la reconfiguration.
M.M.H