Rapport de Benjamin Stora à Macron : la face électorale de la guerre d’Algérie
Le rapport remis par l’historien Benjamin Stora au président Emmanuel Macron le 20 janvier 2021 a-t-il été écrit par l’historien Stora ou par le missionnaire Benjamin ? En effet, Benjamin Stora a été ‘missionné’ par le président Macron pour préparer un ‘rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie’. Mais, d’historien rapportant les faits tels qu’ils se sont passés ou accompagnés d’analyses objectives, Benjamin Stora a revêtu la toque du conseiller du président français et il a choisi des termes et élaboré des propositions qui en font ‘’une des pièces majeures d’une stratégie de reconquête politique destinée à remettre au gout du jour le « en même temps »’’, comme l’a si bien rappelé Olivier Le Cour Grandmaison dans son blog.
(Olivier Le Cour Grandmaison est un politologue français spécialisé dans les questions de citoyenneté et dans les questions qui ont trait à l’histoire coloniale. Il est maitre de conférences en sciences politiques à l’Université d’Evry-Val d’Essonne et enseigne au collège international de philosophie).
En début de son analyse du rapport en question, Grandmaison reprend une citation d’un citoyen anonyme de la Renaissance qui affirme ‘qu’on ne conseille pas les grands et les princes impunément car la morale, la vérité et la morale en sont les premières victimes. Tu crois guider leurs pensées, mais ce sont eux qui guident ta plume’, ce qui nous met directement dans le bain et qui met en lumière l’erreur commise par Benjamin Stora dans la rédaction de son rapport, déjà fort controversé de toutes parts à la fois.
L’auteur de l’analyse estime de prime abord que ce rapport est avant tout politique en raison des ‘mobiles qui ont incité le chef de l’Etat (Macron) à le commander, de son contenu, des catégories mobilisées, du vocabulaire employé, des propositions qui sont faites et des usages qui en seront faits par l’exécutif dans les mois qui vont suivre’, affirme-t-il. Il y a lieu de rappeler que Macron est déjà en campagne officieuse pour un second mandat, qui sera officielle dans les mois à venir, les élections présidentielles françaises étant prévues pour le mois de mai 2022 et, il est hors de pensée que Benjamin Stora ignorât le contexte dans lequel le rapport lui a été commandé, ou les enjeux qui sont derrière ou encore le sens de la mission qui lui a été confiée.
Grandmaison a d’ailleurs listé plusieurs évènements, propos et positions du président Macron ou d’hommes politiques français résolument contre l’Islam et contre tout ce qui représente cette religion, à commencer bien sûr par l’Algérie, sa religion et les questions mémorielles justement. Il faudrait commencer par l’entretien qu’il a accordé à l’hebdomadaire ‘Valeurs Actuelles’ du 31 octobre 2019 dans lequel il a parlé de l’immigration, de l’islam et de la laïcité, puis les propos de Jean Castex tenus le 1er novembre 2020 – une date fort particulière pour les deux pays- quand il a affirmé qu’on ‘ne saurait regretter la colonisation’ puis son appel à l’unité de la communauté nationale qui ‘doit être fière de ses origines’.
Le philosophe reproche aussi à l’historien-conseiller les termes qu’il a choisis dans son rapport et qui ne reflètent nullement la vérité historique ni une volonté claire de reconnaissance des crimes contre l’humanité perpétrés par la France durant la Guerre d’indépendance. Parmi ces termes il cite : « guerre des mémoires, communautarisation, compétition victimaire, culture de repentance », que Benjamin Stora suppose ‘affaiblir dangereusement le paysage culturel et politique de la France’, ce qui est totalement erroné et pousse le pouvoir français à éviter toute reconnaissance de ses crimes de guerre commis en Algérie, ou ailleurs.
Cet emploi de termes bien choisis qui interpellent le subconscient français en lui faisant croire qu’il courrait un grand danger et « que des menaces très graves pesaient sur l’unité de la République en raison des mobilisations irresponsables des groupes communautaires et générationnels ». Ainsi, Benjamin Stora conforte, par l’emploi de ces termes et métaphores, la notion d’insécurité culturelle. L’auteur de l’analyse relève aussi une ‘étrange similitude avec le vocabulaire employé par ceux qui s’opposent avec véhémence à toute reconnaissance officielle des crimes de guerre et crimes contre l’humanité par les forces d’occupation en Algérie’.
Un autre objectif est visé par cette opération politique ‘grossière’, c’est de ‘stigmatiser’ tous ceux qui œuvrent pour la reconnaissance de ces crimes par la France afin de les ‘disqualifier’ et de rendre inefficaces tout ce qu’ils ont entrepris dans ce sens. Ce qui plus grave encore, c’est qu’en agissant de la sorte, Stora appuie de son poids d’historien et de conseiller tous les objectifs politiques de ceux qui l’ont missionné pour rédiger ce rapport.
Continuant sur sa lancée, Grandmaison relève aussi l’utilisation d’une terminologie impropre pour qualifier ce qui s’est passé en Algérie durant la guerre de libération nationale (Guerre d’Algérie) et même avant, en parlant d’exactions et de répressions au lieu d’utiliser les termes de crimes contre l’humanité qui reflète la vérité entière. « l’enfumade de la tribu des Ouled Riah dans la région du Dahra commise par le colonel Pélissier le 18 mai 1845 qui a vu l’extermination entière de la tribu (enfants, femmes, vieillards désarmés) » est-elle une exaction ou une répression seulement, s’interroge l’universitaire ? Si Benjamin Stora n’a pas appelé les choses par leurs noms, c’est ‘’en réalité une concession majeure à la doxa de saison bien faite pour satisfaire le chef de l’Etat et sa majorité hétéroclite, et ménager les nombreux débris de la droite et du centre que celui-ci entend rallier à sa cause dans les mois qui viennent’’, conclut l’analyste. Il cite aussi les crimes contre l’humanité commis par les soldats français depuis le début de la colonisation en 1830 et les différentes lois infâmes qui ont permis la désintégration de la société algérienne et causé jusqu’en 1872, un ‘effondrement démographique de 875 000 personnes’.
Ce sont ensuite les massacres innommables commis à Sétif, Guelma et Kherrata à partir du 8 mai 1945 qui sont cités et qui ne représentent, aux yeux de Benjamin Stora que des ‘exactions’, fait encore remarquer l’auteur de l’analyse, qui continue en parlant des disparitions forcées, des exécutions sommaires, les tortures, les déportations et se demande si cela aussi n’est qu’exaction ou de répression.
Le racisme d’Etat consacré par le Code de l’Indigénat ne manque pas à l’appel des exemples cités par le Professeur Grandmaison en réponse au rapport de Benjamin Stora.
Il donna ensuite plusieurs exemples de pays colonisateurs qui ont eu le courage, ce qui n’est pas le cas de la France, de reconnaitre leurs crimes et se sont excusés auprès de leurs victimes, arrivant jusqu’à leur verser des indemnisations, certes symboliques, mais d’un symbolisme si fort qu’il a pu effacer toutes les stigmates de la colonisation féroce imposés à ces peuples.
Pour conclure son analyse, Olivier Le Cour Grandmaison pose la question de savoir : « Comment rendre véritablement hommage aux innombrables algérien-ne-s torturés, exécutés sommairement, massacrés et violés alors que, pour l’essentiel, leurs bourreaux ne sont plus et que la justice française a toujours refusé de juger ces derniers en vertu des dispositions d’amnistie – le décret du 22 mars 1962, entre autres, – adoptées à la suite des Accords d’Evian ? ».
En faisant remarquer que le rapport de Benjamin Stora remis au président Macron n’apportait aucune réponse satisfaisante à cette question, il préconise que seule la reconnaissance permettrait de faire droit aux exigences de dignité, de vérité et de justice des uns et des autres.
A la fin de son intervention, Grandmaison lance un appel aux candidats à l’élection présidentielle française et leur demande de prendre l’engagement de faire en sorte que ‘l’Etat français reconnait les crimes de guerres et les crimes contre l’humanité qu’il a commis et fait commettre par ses forces armées et de police au cours de la colonisation de l’Algérie, de 1830 à 1962’.
Tahar Mansour