par Dahou Ould Kablia : Ancien ministre de l’Intérieur et président de l’Association nationale des anciens du MALG
Qu’est-ce que le MALG ?
Le MALG est l’abréviation du ministère de l’Armement et des Liaisons générales. Cette appellation ne lui a été donnée qu’au début de l’année 1960, lorsque le CNRA, réuni en décembre 1959, a décidé de fusionner l’ancien ministère de l’Armement et du Ravitaillement général et le ministère des Liaisons générales et des Communications. A l’origine, le 19 septembre 1958, date de la création du premier GPRA, le MALG s’appelait le ministère des Liaisons générales et des Communications (MLGC). Cette appellation, sans être impropre, n’est pas tout à fait correcte parce qu’elle ne regroupe pas l’ensemble des activités de ce ministère qui couvrait des domaines aussi variés que les liaisons, le renseignement, le contre-renseignement, instruments majeurs de la sécurité, la logistique, les transmissions, le chiffre, la radiodiffusion ainsi que la formation.
Pourquoi ces différentes attributions se sont retrouvées associées dans un même ministère ?
Le responsable de toutes ces attributions était le colonel Abdelhafidh Boussouf qui était l’un des adjoints de Ben M’hidi au déclenchement de la lutte de libération. En avril 1956, au départ de Larbi Ben M’hidi vers Alger, il commanda la Wilaya V.
Le déclenchement de la lutte de libération dans l’Ouest du pays en Oranie, qui couvrait une vaste partie du territoire national, environ le tiers (la Wilaya V s’appelait à l’époque la Zone 5), s’est concrétisé dans des conditions difficiles. Ben M’hidi avait renoncé volontairement au quota d’armes (une soixantaine) destiné à cette région et qui était le cinquième (puisqu’il y avait 5 zones) des 300 armes qui avait été achetées grâce à l’apport de cette région lors de l’attaque de la poste d’Oran en 1949. L’argent qui avait été pris au cours de cette attaque avait été réservé à l’acquisition, en Libye, d’armes qui ont été cachées dans les Aurès. Si le responsable de la Wilaya V, Ben M’hidi, s’était désisté auprès de ses frères des autres régions, c’est qu’il était persuadé de recevoir un quota d’armes du Maroc espagnol. Ces armes n’étant pas venues, l’insurrection fut déclenchée dans la Wilaya V avec 5 fusils, 2 pistolets, une bombe et quelques grenades. Les objectifs qui avaient été, dès le départ, assignés à l’action armée, dans cette région, étaient orientés vers la récupération des armes, d’où le fait que des brigades de la gendarmerie furent ciblées dans la région de Mostaganem, des maisons forestières attaquées en particulier à la Mare d’eau et au sud de Tlemcen en dehors de la vaine tentative d’introduction à la caserne d’Eckmühl à Oran. Les moudjahidine purent ramener le maximum qu’ils pouvaient, mais il fallut patienter quelques mois avant de reprendre le combat.
En mars 1955, arriva le «Dyna», premier bateau d’armes en provenance du Moyen-Orient, au sein duquel se trouvait le futur Président Boumediene avec quelques-uns de ses camarades. 160 tonnes d’armement furent ainsi partagées avec l’Armée de libération marocaine, qui avait promis de fournir les premières armes, ce qu’elle ne put faire, engagée elle-même dans l’action armée contre l’occupant espagnol du Rif.
Cette situation était préoccupante dans la mesure où elle était marquée par une absence d’armes effective et de liaisons ainsi que par un déficit en matière de communication.
Ces données poussèrent Larbi Ben M’Hidi et Abdelhafidh Boussouf, une fois les armes obtenues, à réfléchir aux moyens d’engager une politique de recrutement et de formation, compte tenu de l’apport important en moyens humains résultant de la grève des étudiants et lycéens de mai 1956 et de leur ralliement dans les rangs du FLN et de l’ALN. En été 1956, Abdelhafidh Boussouf, en discutant avec ces jeunes recrues, a vu la nécessité, en plus de l’entraînement militaire, de lancer deux premières opérations de formation plus techniques : une formation d’agents opérateurs radio pour les transmissions, une autre de cadres politiques et de cadre contrôleurs.
Le premier stage, organisé en août 1956, permit de sélectionner 26 jeunes encadrés par 3 ou 4 djounoud qui avaient une connaissance dans les transmissions. L’engagement dont ils avaient fait preuve leur permit de se former rapidement (un mois environ). Seize stagiaires formés à la technique de l’usage de l’alphabet morse furent envoyés dans les 8 Zones de la Wilaya V, à raison de 2 opérateurs par zone. Une deuxième équipe de dépanneurs les rejoignit, faisant le tour de la Wilaya pour réparer les appareils endommagés, des machines lourdes de première génération.
Une deuxième initiative fut prise dans la formation du corps des contrôleurs pour vérifier et s’assurer du bon déroulement de l’activité armée à l’intérieur de la Wilaya.
Ainsi, Abdelhafidh Boussouf sélectionna début 1957 une vingtaine de jeunes dont 9 femmes pour être formés et envoyés en qualité de contrôleurs à l’intérieur du territoire national.
En juillet 1957, fut créée à Oujda la première Ecole nationale des cadres qui regroupa quelque 70 cadres. Pendant 6 mois, Ils furent formés dans les domaines politique, économique, juridique, administratif. Le programme de formation de cette école dirigée par le regretté Si Laroussi Khalifa a fait l’objet d’un livre édité après l’indépendance sous le titre Le Manuel du militant algérien. Le regretté lieutenant Abdallah Arbaoui était chargé de la formation militaire. Le MALG était ainsi composé de cadres de l’ALN, de moudjahidine formés militairement et politiquement.
Le colonel Boussouf s’est également attelé à créer un service de liaisons, sorte de courrier porté. Il fut quelque peu l’initiateur d’une poste aux armées. Depuis cette date (1956 -1957) plus une lettre, plus un colis de quelque autorité que ce soit n’était transporté en dehors de ce système de liaison. Officiel et organisé, c’était un courrier diplomatique, transporté par des véhicules de liaison dans les territoires voisins marocain ou tunisien, mais aussi par voie aérienne par des agents de liaison pour rallier les capitales les plus éloignées. C’était la création de ce qu’on appelle communément la valise diplomatique.
Fort de l’expérience des premiers spécialistes radio auxquels se sont joints de nouveaux techniciens, notamment le commandant Omar Tellidji, futur directeur des transmissions, Abdelhafidh Boussouf explora de nouvelles voies. L’arrivée de Omar Tellidji, Moussa Seddar et d’autres frères formés au cours de la première promotion et devenus des formateurs à leur tour, permit de constituer l’embryon de la première radio diffusion algérienne.
Pourquoi une radio?
Il est évident qu’un système de diffusion radio est le moyen le plus pratique et le plus moderne pour propager le message du FLN.
Pourquoi une radio nationale ?
Tout simplement parce que la lutte ne pouvait s’appuyer indéfiniment sur les radios des pays frères et amis qui connaissaient eux-mêmes un certain nombre de contraintes. Nos frères tunisiens et marocains venaient à peine d’accéder à l’indépendance et elle n’était pas tout à fait consolidée. Leurs services de radio étaient relativement gérés par des techniciens étrangers. Il nous a été difficile d’y obtenir plus que quelques heures d’émissions hebdomadaires et nous ne voulions pas causer de problèmes d’ordre diplomatique à ces pays frères.
Il est vrai qu’il y avait Saout El Arab au Caire, une radio mieux assise et dans un pays lointain qui n’avait pas de relation particulière avec la France. Elle nous permettait des émissions quotidiennes au départ avec les speakers égyptiens et par la suite difficilement ouverte aux journalistes et speakers algériens.
Lorsque la Radio fut créée le 16 décembre 1956, l’encadrement était immédiatement algérien que ce soit au niveau de l’élaboration de la matière informative ou de la maîtrise des moyens techniques. A noter que les premiers rédacteurs et journalistes étaient des militants du FLN à l’époque : Cheikh Mimoun, Abdelmadjid Meziane, Belaid Abdesselam, pour ne citer que les plus connus. Les équipements d’émission n’étaient pas très puissants (400 Watts), mais la voix de l’Algérie se faisait entendre à l’intérieur du pays, jusqu’à ce que la contre-offensive de l’administration coloniale se mit à la brouiller. Il fallait essayer constamment de changer de fréquence pour échapper à ce brouillage et pouvoir communiquer. En matière de programmation, il y avait quotidiennement une heure et demie d’émission, sept jours sur sept, en arabe, en français et en kabyle.
C’est en juillet 1959 que le ministère a acquis et mis en place, avec le concours d’un autre technicien, A. Laghouati, un émetteur de 5000 W qui a pu émettre en ondes courtes et couvrir, outre le territoire national, les pays du Maghreb et du Moyen-Orient. La portée de cette émission fut considérable eu égard au talent de son principal animateur le regretté Aissa Messaoudi.
A la fin de l’année 1956, en exécution des décisions du CCE qui avait structuré l’organisation de l’ALN, chaque commandant, qu’il soit de Wilaya, de zone ou de région, se devait d’avoir trois adjoints : politique, militaire et de renseignement-liaisons.
Le colonel Boussouf, qui avait non seulement la responsabilité de la Wilaya V, mais également la tutelle sur l’ensemble des activités du FLN et de l’ALN en base arrière, c’est-à-dire sur l’ensemble du territoire marocain, avait besoin non pas d’un adjoint RL, mais d’un service de renseignement puissant et d’un autre de contre-renseignement également puissant, parce que l’armée française était encore présente au Maroc et en Tunisie. A Oujda, la vingt-sixième division d’infanterie (26e DI) était implantée au camp Gazes. Au Maroc, de nombreux agents de la France cherchaient à percer le secret de la lutte des Algériens, notamment pour tenter de contrecarrer l’action de récupération ou de transport des armes ou celle des réseaux de transmission et d’écoute.
Le service de renseignement du MALG se développa rapidement. A l’époque, le Service renseignement et liaison (SRL) s’articulait autour de plusieurs sections d’exploitation. Très tôt, il eut à répondre à une donnée nouvelle : l’exploitation des renseignements recueillis par les centres d’écoute, l’ALN ayant installé le long de la frontière marocaine deux centres qui fonctionnaient 24 heures sur 24 et qui étaient à l’écoute de toutes les communications VHF et transmissions radio de l’ennemi, que ce soit des unités militaires ou des instances administratives telles que les préfectures ou les sous-préfectures. Ne soupçonnant pas que l’ALN l’écoutait, l’administration coloniale émettait en clair la plupart du temps. Ces renseignements devaient être exploités sur le plan militaire car il fallait absolument communiquer en temps réel aux unités ALN de l’intérieur les mouvements de l’ennemi et ses intentions. Il faut dire aussi que dans ce contexte nouveau, il fallait absolument étoffer le service d’exploitation par des éléments capables de maîtriser la terminologie militaire, car les unités militaires françaises communiquaient au début en coordonnées Lambert sur la base de leurs cartes d’état-major. Cela força le SRL à se doter des mêmes cartes et à en maîtriser la lecture codifiée des aires géographiques d’intervention. A partir des informations contenues dans les messages, les endroits où étaient projetées des actions militaires étaient facilement identifiés.
En parallèle avec le service de renseignement, activait le service du contre-renseignement qui s’occupait de protéger la Révolution, mais aussi les hommes et les services. Il y avait beaucoup de cadres étrangers qui voulaient infiltrer et connaître les intentions du FLN et de l’ALN et c’était le rôle du service de contre-renseignement de contrecarrer leur action. Dans les deux cas de figure, ce n’était pas des services de police qui sont un service civil sous la tutelle directe des structures qui s’occupaient du FLN. Le SRL et le SCR étaient des structures militaires (type 2e bureau) orientés uniquement vers la connaissance de l’ennemi dans les domaines militaire, politique, économique, diplomatique. Ils se sont développés en conséquence pour exploiter toutes sortes d’informations dans le dessein de les communiquer à nos unités.
Parallèlement, Abdelhafidh Boussouf avait hérité, en octobre 1956, après l’arrestation de Mohamed Boudiaf, du service de logistique que celui-ci coiffait au Maroc. Ce service couvrait les villes de Tetouan, Nador, Tanger, Casablanca, Rabat pour collecter le maximum d’armes auprès des marchands clandestins ou auprès des unités étrangères installées au Maroc, notamment dans des bases américaines. En même temps, de nombreux Algériens qui étaient stationnés dans les unités françaises au Maroc rejoignirent les rangs de l’ALN, avec armes et bagages, dont le frère Abdallah Arbaoui qui rallia l’ALN avec un groupe de 45 éléments rapatriés d’Indochine et qui se trouvaient dans une caserne française de Kenitra. Arbaoui sera utilisé précisément dans le cadre de la formation militaire des éléments du MALG.
D’où venaient les éléments du MALG ?
Le colonel Boussouf choisissait les éléments du MALG principalement parmi les djounoud qui avaient le niveau requis, en base arrière et à l’intérieur. Un message avait été adressé au début de l’année 1958 aux commandants des zones de l’intérieur auxquels il a été demandé d’envoyer tous les cadres insuffisamment utilisés dans les unités et qui avaient un niveau susceptible de leur permettre une formation supplémentaire.
En septembre 1957, le colonel Boussouf est nommé membre du CCE. Devenu ainsi un responsable national, il étend à l’échelle nationale les activités qu’il avait organisées au profit de la Wilaya V. C’est ce qui permit en avril 1958 à Abdelhafidh Boussouf d’être désigné en qualité de responsable des Liaisons générales et Communications, lors de la répartition des missions et des rôles aux membres du CCE (au nombre de 8). Krim Belkacem est responsable de la guerre, Mahmoud Chérif des finances et Lakhdar Bentobbal du FLN et de l’intérieur. Quant aux autres membres du CCE, chacun avait ses attributions. D’ailleurs, ce sont ces désignations qui ont préfiguré les attributions définitives, lorsque ces mêmes départements seront transformés le 19 septembre 1958 en Gouvernement provisoire.
Quelle était la configuration des services qui avaient intégré le MALG ?
Ce sont les anciens services devenus des directions au nombre de 5 :
la direction des transmissions nationales et du chiffre (DTN) ;
la direction de la documentation et de la recherche, chargée de la recherche de l’information militaire (DRR) ;
la direction de la vigilance et du contre-renseignement (DVCR) ;
la direction des liaisons générales qui constituait le réseau de poste aux armées (DLG) ;
la direction de la logistique chargée de l’acquisition, du stockage, de l’acheminement des armes, des équipements divers et de l’habillement etc.
La direction des transmissions :
Au niveau de la Zone Ouest, tous les services de Wilaya furent regroupés dans la nouvelle direction nationale. Les transmissions, qui avaient pris naissance à l’Ouest, avaient été déjà étendues, dès 1957, à l’Est, à la nomination de Abdelhafidh Boussouf au CCE. La cinquième promotion (quatre promotions avaient été formées à l’Ouest) eut lieu précisément à la frontière tunisienne avec l’apport des éléments formateurs de l’Ouest mais avec des candidats opérateurs fournis par les Wilayas I, II, et III.
En 1957, toutes les Wilayas de l’intérieur avaient reçu des opérateurs radio, des dépanneurs et des chiffreurs et le service des transmissions couvrait l’ensemble du territoire national ainsi que toutes les structures extérieures du FLN, que ce soit à Rabat, à Tunis, au Caire ou ailleurs. A signaler que 13 promotions d’opérateurs radio, 4 promotions de dépanneurs et 4 promotions de chiffreurs, soit près de 900 agents des transmissions, furent formés et affectés de 1956 à 1962. Quatre-vingt-six d’entre eux sont tombés au champ d’honneur.
* La Direction de la documentation et recherche était articulée en trois services :
– Le Service opérationnel était implanté directement aux frontières et travaillait en étroite collaboration avec l’ALN. Il était sous l’autorité des commandements militaires de l’Est et de l’Ouest, mais il relevait organiquement de la DDR et du ministère. C’était un service chargé de récolter les renseignements à caractère militaire sur les barrages, les ouvrages défensifs qui étaient en train de se réaliser à l’époque, les implantations, les effectifs, la stratégie, la tactique, de même qu’il s’informait sur les aspects politiques et économiques.
Il fournissait la matière informative à la radio algérienne pour ce qui est des billets politiques et les bulletins de guerre et ce grâce à l’écoute des bulletins de renseignements quotidiens de l’ennemi. Les autorités militaires françaises communiquaient quotidiennement d’Alger les renseignements opérationnels de la journée vers le siège de l’autorité supérieure à Paris. C’était l’élément de base qui était écouté et qui nous permettait de faire le rapprochement avec nos propres informations qui nous parvenaient des unités amies ;
– le Service recherche s’occupait de rechercher l’information en profondeur par l’intermédiaire d’un large réseau d’agents et de collaborateurs, que ce soit sur le territoire des pays amis, mais en ciblant la France, ou en Europe et en particulier à l’intérieur du territoire français ;
– le Service d’exploitation (SEN) fut créé début 1960 et était basé en Libye. A la Base Didouche, près de Tripoli, plus de deux cents cadres de haut niveau s’occupaient de collecter et de rassembler toutes les informations émanant du Service de recherche et du Service opérationnel et qu’ils étaient chargés d’exploiter, d’en faire des synthèses, des études, des notes au gouvernement, au commandement opérationnel à l’Ouest (Wilayas IV, V et VI) dirigé par Boumediene, et au commandement opérationnel à l’Est (Wilayas I, II, III), dirigé par Mohammedi Said et le colonel Nacer.
* La direction de la vigilance et du contre-renseignement
* La direction des liaisons et celle de la logistique.
Le colonel Boussouf recherchait la compétence partout où elle se trouvait, même chez des non-Algériens. Des étrangers furent ainsi utilisés pour la formation dans les transmissions, choisis en particulier parmi le grand nombre de légionnaires qui avaient déserté et rejoint les rangs de l’ALN. Abdelhafidh Boussouf savait très bien quel avantage il pouvait en tirer et à quel risque il pouvait s’exposer. La plupart d’entre eux servirent avec beaucoup de dévouement, dans des conditions extrêmement difficiles, puisque tous les services vivaient dans la clandestinité la plus totale.
Le même principe fut appliqué pour la fabrication des armes. Des étrangers furent approchés, recrutés et utilisés pour la fabrication des armes dès lors qu’ils avaient une compétence technologique avérée. Quelques-uns sont devenus de vrais Algériens et vivent, aujourd’hui, dans notre pays.
Le journaliste allemand Wilfried Müller, venu aux frontières en 1957 pour une série de reportages, avait été convaincu par Abdelhafidh Boussouf d’apporter sa contribution par des tracts et des contacts indirects à l’effet d’inviter les légionnaires à déserter et à rejoindre les bases arrières de l’ALN. Cette opération fut couronnée de succès puisque plusieurs centaines de légionnaires purent ainsi fuir l’armée française et rejoindre leur pays d’origine. «Mustapha» Müller est décédé en 1993 à Tamanrasset.
Comment apprécier, aujourd’hui, l’apport du MALG à l’effort de guerre ?
Au plan politique, l’autorité politique recevait toutes les données sur la situation politique générée par la lutte de libération grâce aux analyses, aux études et synthèses réalisées par les cellules du MALG, chargées du traitement des informations reçues des services opérationnels et de recherche. Ces cellules étaient également chargées du suivi des actions menées en direction des populations algériennes par l’administration coloniale telles que la loi-cadre, la politique de la troisième force, les promotions Soustelle et Lacoste, le plan de Constantine etc. et cela permettait au GPRA de définir et de mettre en œuvre une politique de contre-mesures.
Au plan diplomatique, les pays frères nous avaient permis d’avoir des informations importantes sur les intentions politiques et diplomatiques de l’ennemi, puisqu’ils faisaient la plupart du temps office de courroies de transmission de l’information. Toutes les données confidentielles utiles à l’action diplomatique furent immédiatement fournies à nos organes diplomatiques.
Au plan militaire, le MALG a contribué à la formation de cadres polyvalents. En plus des cadres qui furent versés dans les services techniques, des cadres militaires furent envoyés à l’intérieur du territoire national.
Au niveau de la première promotion de l’Ecole nationale des cadres, sur 70 jeunes formés, 27, dont 13 sont tombés au champ d’honneur, sont rentrés directement à l’intérieur pour renforcer l’encadrement des zones. Il faut également souligner qu’au plan militaire le MALG était chargé de la dotation de tous les commandements jusqu’à l’échelon zone de moyens de transmission et de chiffrement. Il avait la tutelle générale sur l’intendance militaire pour la fourniture du matériel de transport, d’habillement, du matériel de couchage, des denrées alimentaires pour les djounoud ainsi que pour les réfugiés civils, missions dévolues à la direction de la logistique.
La direction des transmissions nationales avait amélioré et modernisé son équipement par l’acquisition d’émetteurs-récepteurs de type ANGRC/9 plus légers et plus fiables et disposait d’un maillage de plus en plus important. Les centres d’écoute se développèrent à l’Est et à l’Ouest du pays. Le service des transmissions se dota d’un service de chiffrement pour protéger et sécuriser ses communications et d’un service de déchiffrement et de décryptage pour décoder les messages de l’ennemi qui s’était mis à coder ses communications lorsqu’il s’était aperçu qu’on l’écoutait.
Les éléments du MALG vivaient au sein des unités opérationnelles de l’Est et de l’Ouest et ils mettaient l’accent sur la connaissance du barrage électrifié qui, au courant de l’année 1958, était virtuellement achevé avec tous ses dispositifs de défense qui constituaient un véritable obstacle physique mobilisant des moyens humains impressionnants, des champs de mines et des systèmes de signalisation et d’alarme redoutables. De plus, d’autres unités spéciales intervenaient dès que nos djounoud réussissaient à traverser le barrage. Il y avait dans ce cas d’espèce, à l’intérieur des barrages et en arrière de ceux-ci, des forces militaires tout à fait disproportionnées par rapport aux moyens de l’ALN. Si les unités de l’ALN au niveau des frontières se chiffraient en katibas et bataillons, l’ennemi sur les barrages et à leur proximité immédiate avait des effectifs qui se chiffraient en divisions. Ainsi, à l’Ouest il y avait deux divisions : la douzième division d’infanterie (12e DI) à Tlemcen, la demi-brigade des fusillés marins à Ghazaouet et la treizième division d’infanterie (13e DI) à Saida. A l’Est, étaint stationnées la deuxième division motorisée (2e DIM) à Annaba, la onzième division d’infanterie (11e DI) à Souk-Ahras et la septième division légère blindée (7e DLB) à Tébessa. Soit cinq divisions de 100.000 hommes, contre quelques katibas et bataillons, en plus des avions de combat, des chars, de la surveillance électronique, radar et aérienne sans perdre de vue les champs de mines. Ces barrages devenus difficilement franchissables par les unités de l’ALN poussèrent Abdelhafidh Boussouf, en tant que responsable d’une structure militaire, à rechercher des concours extérieurs pour la mise en œuvre de techniques efficaces de franchissement. C’est ainsi que des missions furent envoyées dès 1960 en Chine, en Union soviétique, en Egypte et en Yougoslavie.
Le MALG fut également chargé de la préparation logistique du front sud.
Les moudjahidine dont Moussa Seddar furent envoyés à la frontière du Mali pour préparer les dispositions logistiques, afin d’accueillir les unités qui devaient traverser le Grand Sud pour rejoindre le nord, et acheminer l’armement devenu difficile à faire passer à travers les barrages.
En 1960, le CNRA décida de fusionner les deux ministères du MLGC et du MARG et de confier le tout à Abdelhafidh Boussouf.
Le ministère de l’Armement constitué en 1958 avait hérité lui-même des services logistiques installés avant lui aussi bien en Tunisie, en Libye, qu’en Egypte, depuis le début du déclenchement, c’est-à-dire depuis 1954, avec déjà au départ Ahmed Ben Bella et Ali Mahsas puis par la suite Amar Ouamrane et Mahmoud Cherif et quelques-uns de leurs collaborateurs (Abderrahmane Benattia, Abdelmadjid Bouzbid, Mustapha Cheloufi, Abderrahmane Benghomrani). Tous ces services s’étaient acquittés convenablement de leur mission d’acquisition, sauf le transport des armes par voie maritime.
Après l’épopée du « Dyna », l’armée française prit conscience du danger que constituait un apport massif d’armement aux unités de l’ALN. C’est pourquoi elle mobilisa toute sa flotte et ses capacités techniques pour opérer une surveillance rigoureuse de la Méditerranée.
Au niveau des sources d’approvisionnement, les services spéciaux français (le SDECE et ses démembrements) avaient pu agir auprès des marchands d’armes que le FLN sollicitait. Les marchands d’armes, qui avaient vendu dans un premier temps des armes au FLN, se mirent à collaborer avec le SDECE sous la menace. Nombre d’entre furent même exécutés.
Le transport des armes pour la partie Ouest du pays était devenu extrêmement aléatoire. Sur 10 bateaux, 7 furent arraisonnés entre les années 1957-1959 dont « l’Athos », le « Slovenyja », « le Lidice », « le Granita », avec des quantités importantes d’armement et surtout d’explosifs indispensables pour la fabrication des Bengalore nécessaires à l’ouverture des brèches à l’intérieur des réseaux de barbelés aux frontières.
Le CNRA dut considérer que la notion de secret n’était pas totalement maîtrisée et qu’avec Abdelhafidh Boussouf, qui avait alors un art consommé du secret, les choses iraient mieux. Abdelhafidh Boussouf avait en outre un avantage sur ses prédécesseurs : depuis 1958, le GPRA avait été constitué et reconnu par nombre de pays. Il lui était possible de conclure des contrats non plus avec des marchands, mais avec des Etats et de maintenir le secret. Les prix étaient plus abordables puisque c’étaient des marchés d’Etat et non des marchés où la surenchère jouait. Les armes étaient de meilleure qualité puisqu’il y avait la possibilité de choisir les types d’armement, et le transport avait de sérieuses garanties d’être assuré dans de bonnes conditions. Nos frères du Proche-Orient (Irak, Syrie, Jordanie et Egypte) furent les premiers fournisseurs en armement, suivis de la Tchécoslovaquie, de la Yougoslavie, de l’Union soviétique et surtout de la Chine qui fournit de grandes quantités de matériels militaires à titre gracieux, mais aussi des denrées alimentaires, du riz, des tissus qui arrivaient à Alexandrie ou dans d’autres ports du Proche-Orient.
Naturellement, lorsque le MLGC absorba le MARG, Abdelhafidh Boussouf eut besoin d’organiser et de mettre de l’ordre dans la nouvelle structure. Il mit en place des organigrammes, des schémas de fonctionnement et de gestion. Pour lui, la priorité était de se doter d’un parc convenable où il n’y aurait pas de demi-mesures. Il acquit une flotte de véhicules de transport de qualité : des camions de type «Lancia», «Mercedes», des semi-remorques «Bertoga», des «Unimog», des véhicules légers et des camions capables de faire la liaison entre les différentes villes et les zones d’accueil des armes, c’est-à-dire la frontière tunisienne, grâce à l’appui de nos frères libyens et tunisiens. L’armement arrivait dans des délais rapides vers les unités combattantes. Cette flotte parcourut en deux années 4.450.000 km et transporta plus de 25.000 tonnes d’armement à raison souvent de 5 à 6 voyages par mois.
Le MALG s’organisa en Tunisie pour mettre en œuvre des ateliers de confection (habillement, tentes, couvertures…) et de fabrication de Bengalore.
Au Maroc, un embryon d’agents formés dans la réparation des armes passa à la fabrication avec le concours de jeunes, envoyés par la Fédération de France du FLN vers le Maroc. Ils travaillaient dans des usines de mécaniques ou métallurgiques en France. Ils mirent ainsi leur expérience à profit pour fabriquer avec l’aide de professionnels étrangers des mortiers, des obus de mortiers, des pistolets-mitrailleurs, des grenades et ce en quantités importantes : des dizaines de milliers de pièces.
Ces armes sont elles entrées en Algérie ?
Cela n’était pas dans les attributions du MALG qui était plus habilité à ramener les armes aux frontières à l’Etat-Major général qui les faisait pénétrer à l’intérieur.
En 1960, outre le portefeuille de l’armement qui lui fut confié, Abdelhafidh Boussouf fut désigné membre du Comité interministériel de la guerre (CIG). Il en fut en réalité l’animateur ; Lakhdar Bentobbal avait la charge du portefeuille de l’intérieur, Krim Belkacem le portefeuille des Affaires étrangères, tous deux membres de ce comité. Boussouf était de fait le coordinateur du CIG et à ce titre il avait la tutelle sur la formation, dès 1958, des cadres à l’étranger dans des domaines spécifiques. C’est donc lui qui prit le relais pour la formation dans les domaines de l’aviation, de la marine, des parachutistes, des hommes-grenouilles et de la police pour lesquels des convois de jeunes furent envoyés dans les académies militaires d’Egypte, de Syrie, d’Irak, de Russie et de Chine. C’était un investissement qui était destiné, au-delà des servitudes conjoncturelles largement assumées, aux besoins de l’Algérie indépendante.
A cette époque, le système de formation algérien avait atteint un niveau tel qu’il fut sollicité par des pays amis. Le service des transmissions a apporté un précieux concours à des pays nouvellement indépendants tels que le Mali et la Guinée, mais aussi à des pays qui luttaient pour leur indépendance comme le Mozambique, la Namibie ou l’Afrique du Sud dont la plupart des cadres et combattants furent formés dans les camps d’instruction de l’ALN.
Le MALG dans les années 1960 et 1961
La situation politique a évolué depuis la fin 1958. La lutte armée avait atteint ses objectifs: étendre la résistance et la lutte sur l’ensemble du territoire, impliquer et faire adhérer l’ensemble des Algériens.
En décembre 1960, les choses basculèrent. Le peuple prend le relais. Il descend dans la rue pour réclamer l’indépendance, le combat devenait dès lors politique. Il fallait absolument que le MALG et en particulier ses services de renseignements s’adaptent à cette nouvelle donne qui était la lutte politique. Il fallait donc, sans arrêter le travail dans le domaine du renseignement militaire, aller vers un renseignement politique de qualité. Grâce à la résistance et à la lutte du peuple algérien, les gouvernements français qui se succédèrent en particulier le général de Gaulle allaient de concession en concession jusqu’à sa fameuse déclaration du 16 septembre 1959 par laquelle il reconnaissait aux Algériens le droit à l’autodétermination.
Les choses prirent une autre tournure, parce que tout le monde avait compris, l’opinion française ou les Algériens au service de l’administration française, que l’indépendance était inéluctable à partir du moment où le peuple algérien allait faire usage de son droit à l’autodétermination. Beaucoup de personnes vinrent vers le FLN triomphant. Il faut reconnaître que Abdelhafidh Boussouf fut l’un de ceux qui avaient su tendre la main à ces ralliés de la dernière heure. Cela fut extrêmement utile parce que le général de Gaulle, tout en sachant qu’il allait céder, ne voulait pas sortir par la petite porte. Il lança d’importantes manœuvres politiques en plus des opérations militaires menées à l’intérieur du territoire. Il avait d’abord commencé par parler d’intégration puis de spécificité algérienne, puis d’autonomie, puis d’indépendance par le référendum. Il voulait casser le FLN pour donner l’impression qu’il allait offrir cette indépendance au peuple algérien et non au FLN.
Les services de renseignement du MALG, exploitant cette situation, commençaient à connaître véritablement, à partir des sources les mieux informées et les plus proches du sommet, les intentions politiques du gouvernement français en matière de stratégie de négociations. Les pourparlers avaient commencé discrètement. Mais on voyait déjà se dessiner les voies de la véritable négociation. Il fallait donc mettre pour le FLN tous les atouts de son côté et utiliser les propres armes de l’adversaire : lorsque le général de Gaulle avait affirmé qu’il voulait négocier avec les représentants des populations algériennes, son ministre des Affaires algériennes Louis Joxe déclara qu’il allait négocier avec toutes les parties concernées, il visait le MNA, la troisième force, les pieds-noirs. Les services du MALG firent échouer cette tentative, en intervenant en février 1960 auprès de 12 sénateurs et de 13 députés algériens, membres du Parlement français, pour qu’ils signent une déclaration disant qu’ils considéraient le FLN comme étant le seul représentant du peuple algérien pour engager des négociations. Voilà donc une arme que le général de Gaulle pensait utiliser et qui fut retournée contre lui.
D’autres collaborateurs du pouvoir français furent utilisés par les services du MALG pour la propagande politique et le transport des armes, du courrier, de l’argent à l’intérieur du pays. Les cars d’un transporteur très connu de l’Ouest, membre du Conseil général de Mostaganem, furent utilisés pour ramener des munitions de la France vers l’Algérie. Dans les camions d’un grand industriel algérois également très connu, des grenades furent dissimulées et envoyées dans des sacs de bitume de Casablanca à l’intérieur du pays. Des voitures de députés algériens de l’Assemblée française servirent à l’envoi de nombreux courriers et des armes à l’intérieur du pays. D’autres collaborateurs de haut niveau fournirent des renseignements précieux et précis sur des dossiers aussi importants que le plan de Constantine et le dossier des négociations. Un secrétaire d’Etat fut pris en charge par Khaled Khodja Nacer, représentant du MALG à Rome, qui le mit en contact avec Ahmed Boumendjel et Ahmed Francis pour servir d’intermédiaire avec le général de Gaulle.
Nous n’avons pas et nous n’avons jamais cherché à citer tous ceux qui ont collaboré avec les services du MALG, nous estimons que la page est tournée et qu’il leur appartient, s’ils veulent gagner la reconnaissance du peuple algérien, de se déclarer.
Le MALG devint ainsi un animateur de l’action politique et contribua énormément à la préparation des dossiers des négociations.
Effectivement, dès les premières années de la lutte, il y eut des contacts entre les deux parties en conflit : à Alger en 1956, entre l’avocat Jacques Verny et Abane Ramdane; au Caire par l’intermédiaire de Georges Gorse et à Rome entre Khider et Commun du Parti socialiste français. Mais ce fut sans conséquence, car la position française était tranchée. Les responsables français voulaient nous enfermer dans le fameux triptyque cessez-le-feu-élections-négociations. Ils voulaient que les Algériens arrêtent les combats, que l’on procède à des élections qui désigneraient les représentants du peuple algérien avec lesquels ils négocieraient un statut intermédiaire (type autonomie interne). Cette position était constamment rejetée. De Gaulle l’avait également tentée avec sa « paix des braves », le drapeau blanc des parlementaires. En vain. Puis de concession en concession de la partie française, les contacts furent remplacés par des pourparlers : les premiers eurent lieu à Melun mais ils échouèernt pour des raisons tactiques et stratégiques pour aboutir finalement à la médiation des Suisses par le biais d’Olivier Long qui mit en contact des responsables algériens et français en vue d’envisager des négociations sur des bases plus sérieuses. Ainsi, les premiers entretiens secrets eurent lieu à Evian puis dans d’autres lieux.
Les choses évoluant positivement, les échanges informels, qui se faisaient par le biais d’intermédiaires, furent complétés par des échanges de notes. Le MALG, qui recevait copie de ces notes, devint maître d’œuvre de la préparation des dossiers de travail détaillés dans tous les domaines administratif, économique, financier, sécuritaire, militaire. Chaque thème faisait l’objet d’un échange de notes. Les propositions de la partie française étaient examinées à la Base de Tripoli par une cinquantaine de cadres de haut niveau spécialisés à cette fin. C’était un véritable atelier de travail coordonné par Laroussi Khelifa et Boualem Bessaieh. De son côté, à Tunis, le GPRA mit sur pied une cellule de suivi dirigée par Mohamed Benyahia, avec la collaboration de Ahmed Boumendjel, Rédha Malek, Mohammed Harbi et Mohamed Bedjaoui. Ils travaillaient sur des dossiers techniques ardus portant autant sur des problèmes de principe que sur des points de détail, des parties d’articles, des articles ou des projets de déclaration politique. Le MALG adjoignit à la délégation officielle des experts durant toutes les phases de ces négociations officielles. Ils étaient chargés, en outre, de couvrir la sécurité de la délégation et de suivre le volet de la communication et de la liaison avec les membres du GPRA restés à Tunis.
La composante humaine du MALG
Le MALG disposait de 1400 à 1500 collaborateurs avec un budget équivalent au quart de celui du GPRA. A voir les effectifs d’autres ministères qui se limitaient à une quarantaine de personnes, on mesure l’importance de la structure. Abdelhafidh Boussouf avait investi non seulement pour apporter un concours immédiat à la lutte de libération mais pour en garantir l’avenir. Il avait fait des prévisions telles qu’il était en mesure, si la situation l’exigeait, de passer à une phase supérieure de lutte. Dans les cas des barrages frontaliers par exemple et vu l’incapacité de les franchir, il envoya, en 1961, une équipe de 8 aviateurs pour se spécialiser dans le transport des armes par hélicoptère. C’était une formation pointue dans des conditions difficiles. Il fallait qu’ils opèrent pratiquement dans les mêmes conditions, vol en rase-mottes de nuit sur terrain inconnu non balisé. Cette équipe fut opérationnelle en mars 1962 au Maroc où quatre hélicoptères, arrivés en pièces détachées avec le concours bienveillant de nos frères marocains et devant être recomposés, devaient être utilisés dans le transport des armes vers l’intérieur. Cette opération ne fut pas mise en application par le simple fait que le cessez-le-feu était intervenu entre-temps le 19 mars 1962.
D’autres voies également furent étudiées pour le transport d’armes par des bateaux qui contournèrent la Méditerranée. Deux bateaux chinois passèrent par l’Afrique du Sud (Cap de Bonne espérance). Ils remontèrent vers un port guinéen d’où les armes étaient transportées jusqu’à la frontière du Mali. Un autre arriva au port de Casablanca où il débarqua sa précieuse marchandise sans compter également que grâce à nos amis soviétiques, un bateau «le Bulgaria» arriva jusqu’au port de Tanger, transportant des armes soviétiques. Les services de propagande français firent croire qu’il était escorté par des sous-marins, fantasmes du colonel Jacquin (1).
Conclusion
Les personnels du MALG qui avaient été formés dans le cadre de la lutte permirent néanmoins de faire face aux problèmes de l’après-guerre. C’était un cadeau qui fut offert à l’Algérie puisqu’au lendemain de l’indépendance, l’Etat algérien disposait d’aviateurs, de marins, de policiers, d’agents de transmissions qui gérèrent totalement leurs départements respectifs. Les spécialistes du MALG prirent dans une grande proportion en charge la radio et la télévision. De nombreux cadres du MALG furent versés au corps diplomatique, d’autres aux corps des walis et à l’armée. Les services de la sécurité militaire bénéficièrent du plus gros lot. Ainsi, une grande partie de l’encadrement de l’Algérie indépendante a été fournie grâce à cette formation et à l’expérience qu’il a pu acquérir de 1957 à 1962.
Les archives du MALG
Pour le corps des transmissions, ses archives sont les «chronos» de tous les messages qui furent échangés entre les PC de commandement et les responsables de Wilayas et de zones, expédiés et reçus durant six années au niveau des centres d’exploitation et de régulation; les messages à caractère politique des instances du FLN, que ce soit le CCE, le CNRA, le GPRA, ou les bureaux de liaison dans les capitales étrangères ; les messages captés par les centres d’écoute, les bandes sonores de la radio algérienne et enfin les codes et instruments de chiffrement.
Pour la DDR, les rapports et courriers adressés par les commandements de l’ALN sur la situation politico-militaire de l’intérieur et des frontières, les rapports et notes transmis par les agents et correspondants attitrés de l’intérieur ou de l’extérieur du pays, les documentations et publications sur la lutte de libération (photos, journaux, périodiques, revues spécialisées, livres, bandes enregistrées de certaines radios : Voix du Bled, Radio Luxembourg, Radio Monté Carlo), les études, notes particulières, rapports et synthèses établis par cette même direction à l’intention de l’autorité supérieure, les bulletins de renseignements quotidiens et hebdomadaires, les rapports mensuels et les bilans annuels d’activité, les cartes et supports graphiques concernant l’implantation de l’armée française, les maquettes des lignes Morice et Challe, le fichier des unités françaises et de leur encadrement.
La DVCR, quant à elle, gérait et tenait à jour le fichier de tous les collaborateurs de l’armée et l’administration françaises ainsi que des PV d’audition sur les dossiers sensibles relatifs aux atteintes à la sécurité de la Révolution.
Pour l’armement, les états-navettes de réception et mouvement d’armes, de la circulation de produits vestimentaires, alimentaires et de couchage, de schémas et plans de fabrication ainsi que les organigrammes et dossiers des personnels ; les fichiers des djounoud en formation à l’étranger dans l’aviation, la marine, la police faisaient également l’objet de conservation. Les comptes rendu écrits et sonores des débats du CNRA, dont le MALG assurait le secrétariat permanent, les procès-verbaux de réunion du GPRA. Cette catégorie d’archives avait été mise évidemment en sécurité à la Base Didouche.
Que sont-elle devenues?
La plus grosse partie qui se trouvait à la Base Didouche fut transférée de Libye en Algérie début juillet 1962. Pour ce faire, douze camions furent mobilisés. Les caisses de documents dûment répertoriés traversèrent l’Algérie à la lisière Nord du Sahara, furent regroupées à la Préfecture d’Oran et remises au Bureau politique du FLN qui les fit transférer à Alger au siège de l’Exécutif provisoire à Rocher-Noir puis à celui du ministère de la Défense nationale dès sa mise en place (2). Les archives détenues par le MALG à Tunis furent remises par Abdelhafidh Boussouf au colonel Boumediene par l’intermédiaire du frère Ali Gueraz, sous forme de six malles métalliques. Les archives d’Oujda (60 caisses) furent remises par le frère NoureddineYazid Zerhouni, responsable de la DDR pour l’Ouest, en juillet 1962, au colonel Othmane, responsable de la Wilaya V. Elles furent déposées au domicile du colonel Lotfi à Tlemcen puis transférées sur Alger.
Le patrimoine du MALG concerne essentiellement les véhicules, les équipements, les machines-outils et les importants stocks d’armement. L’armement acquis, qui se trouvait à l’indépendance au Maroc, fut entièrement transféré à l’autorité de la Wilaya V.
L’armement et les machines-outils qui servirent à sa fabrication furent transportés par bateau de Casablanca vers Alger, sous la responsabilité personnelle du directeur de la logistique Ouest Mansour Boudaoud.
- 5 hélicoptères MI 4 en pièces détachées recomposés à Meknès furent transférés en septembre 1962 sous la responsabilité de l’officier d’aviation Hocine Senoussi, à Alger. Ces appareils ont d’ailleurs participé au premier défilé de l’ANP organisé le 1er Novembre 1962.
- L’armement de la direction logistique stocké en Tunisie fut remis à l’EMG.
- Les armes emmagasinées à Tripoli et Benghazi (Libye), Marsam -Matrouh et Alexandrie (Egypte), Lattaquié (Syrie) furent rapatriées partiellement et graduellement vers les ports algériens par bateaux (« Star Of Alexandria », « Bleden I et II », « Ibn Khaldoun ») jusqu’en 1965 sous le double contrôle des responsables de l’ANP et d’un ancien cadre de la logistique MALG, le frère Abderrahmane Benattia
- Descriptif global:
- Une grande quantité d’armes lourdes, canons, obusiers, mortiers, mitrailleuses de défense contre l’aviation, fusils-mitrailleurs et autres armes légères.
- 7000 tonnes de munitions, y compris des obus et des roquettes dont une partie fut remise aux combattants palestiniens, angolais et mozambicains.
- L’armement emmagasiné à Lattaquié fut remis à l’armée syrienne.
- Enfin il est bon de signaler que 20.000 fusils US 17 stockés en Egypte furent «gelés» puis «conservés» par nos «amis» égyptiens au lendemain de la destitution du Président Ben Bella.
L’éclairage particulier que j’ai apporté expressément sur les archives du MALG cadre bien avec le Centre national des archives. L’intérêt que ce Centre porte à la mission de recherche historique joint aux efforts que nous déploierons, dans le même sens, peuvent ouvrir la voie à des travaux plus complets sur la longue marche de notre révolution.
L’Association que je préside a bon espoir de voir l’autorité qui dispose actuellement des archives du MALG opérer le tri nécessaire, déclassifier et mettre rapidement, entre les mains du public en général et des historiens et chercheurs en particulier, les documents qui ne présentent pas un caractère absolu de confidentialité. En attendant, il faut savoir que la plupart des membres de l’Association et notamment ceux qui ont assumé des responsabilités peuvent apporter, en toutes circonstances, des témoignages et des précisions complémentaires dans les secteurs qu’ils maîtrisent de manière irremplaçable, tant ils demeurent, en l’absence du regretté Abdelhafidh Boussouf, la mémoire vivante de cette grande épopée.
D.O.K
Notes :
1- Dans un de ses livres, le colonel Jacquin déclare qu’il avait dirigé la Wilaya V à partir des moyens de transmissions du colonel Lotfi en taisant sa mort pendant un mois. Il faut savoir que le Colonel Lotfi est mort le 26 mars 1961 et que le lendemain l’Echo d’Alger et la Dépêche de Constantine annoncèrent sa mort. Par ailleurs, le colonel Lotfi n’avait pas son poste de transmissions avec lui. Ce poste passé par d’autres voies était à Béchar à l’époque.
2) Une copie de l’ordre de mission signé par Mohamed Khider concernant ce mouvement particulier fut remise ce jour, par mes soins, à la Direction centrale des archives.