Le ministre de la communication, porte-parole du gouvernement, Professeur Belhimer à l’APS :
« Démocratisation de la méchanceté » et « passions tristes »
Vous avez à plusieurs reprises mis en garde contre le foisonnement des fake news sur les réseaux sociaux et dans la presse électronique. N’exagérez-vous pas le phénomène et son impact sur la société ?
Un sondage Immar d’avril 2019 répartissait ainsi les populations algériennes quotidiennement exposées aux médias :
- Téléspectateurs : 18 millions ;
- Internautes : 17 millions ;
- Médias sociaux : 15,5 millions ;
- Auditeurs : 3 millions ;
- Lecteurs : 2,6 millions
Le poids des nouvelles technologies de communicati
3on ne fait donc point de doute. Il reste à connaître la qualité du message diffusé qui est, malheureusement, à bien des égards peu enviable.
La « violence expressive » qui se déverse ad nauseam sur nos réseaux sociaux est inadmissible. Elle menace le tissu social de banalisation de l’incivisme, de brutalisation, d’« ensauvagement », imposant ce que d’aucuns ont appelé une « démocratisation de la méchanceté » et d’autres l’expression de « passions tristes ».
Il ne pourrait être question de banalisation et de légitimation de la violence, sous quelque forme que ce soit, dans le débat public, où qu’il se déroule et quel que soit son enjeu.
Au-delà de l’anonymat (faussement protecteur) des internautes malveillants, la banalisation de la violence laisse libre cours aux « trolls », expression par laquelle on désigne « les internautes plus ou moins malveillants dont l’objectif est de « pourrir » des fils de discussion en générant artificiellement des polémiques ». Le « troll » « exprime un désaccord systématique avec ce qui se dit, dénigre ses interlocuteurs ou tient des propos absurdes dans le seul but d’irriter les autres participants à la discussion ».
Au-delà du « trolling » et de l’agressivité comme registre d’expression, que l’on pourrait réunir sous le terme d’« incivilités », le cyber-harcèlement militant et les discours de haine, même s’ils sont punis par la loi, en raison des dommages psychologiques qu’ils peuvent occasionner chez leurs victimes, ont également des effets néfastes sur le débat public et peuvent être considérés comme des atteintes au pluralisme démocratique car ils engendrent des phénomènes de censures collectives et d’autocensure qui appauvrissent le débat.
Dans pareil contexte où, tous les coups sont permis pour se faire de l’argent, les contenus haineux, au même titre que les contenus mensongers, constituent des produits informationnels particulièrement nocifs.
L’Algérie a mis à jour son dispositif de lutte contre les dépassements dont vous faites mention. La répression des dépassements est-elle proportionnée ?
Nous oeuvrons à rattraper un retard considérable et notre dispositif répressif n’est pas plus sévère que d’autres.
A cet égard, le législateur allemand n’a pas fait dans la demi-mesure en adoptant une loi, entrée en vigueur en janvier 2018, qui oblige notamment les plateformes à retirer les contenus haineux qui leur sont signalés en moins de 24 heures sous peine d’amendes pouvant atteindre les 50 millions d’euros.
Les autres pays de l’Union européenne s’accrochent peu à peu au wagon allemand, en allant, chacun de son côté, plus loin que le code de conduite mis en place en juin 2016 pour lutter contre les discours haineux illégaux.
En Algérie, la loi n° 20-05 du 28 avril 2020 relative à la prévention et à la lutte contre la discrimination et le discours de haine (Joradp n°25 du 29 avril 2020) comprend 48 articles, répartis en 7 chapitres, traitant des mécanismes de prévention contre la discrimination et le discours de haine, dont l’Observatoire national de prévention et de protection des victimes de la discrimination et du discours de haine, en sus des règles procédurales, et tout ce qui se rapporte aux dispositions pénales, à la coopération judiciaire et aux peines définitives.
Est notamment passible d’une peine d’emprisonnement de deux (2) ans à cinq (5) ans et d’une amende de 200.000 DA à 500.000 DA, quiconque produit, fabrique, vend, propose à la vente ou à la circulation des produits, des marchandises, des imprimés, des enregistrements, des films, des cassettes, des disques ou des programmes informatiques ou tout autre moyen portant toute forme de discours pouvant provoquer la commission des infractions prévues par la loi.
Ces dispositions s’ajoutent au nouveau dispositif d’incrimination et de répression de la diffusion et de la propagation de fausses informations portant atteinte à l’ordre et à la sécurité publics.
L’amendement de l’article 196 bis du code pénal prévoit dans ce cadre de punir quiconque volontairement diffuse ou propage, par tout moyen, dans le public des nouvelles ou informations, fausses ou calomnieuses, susceptibles de porter atteinte à la sécurité ou à l’ordre public, compte tenu de l’effroi qu’ils sèment au sein des citoyens et du climat d’insécurité qu’ils génèrent dans la société.
Il prévoit, une peine délictuelle pour ces actes, consistant en l’emprisonnement d’un (1) an à trois (3) ans et une amende de 100.000 DA à 300.000 DA.
Pourquoi le ministère de la communication insiste tant sur le respect du droit ?
Le ministère de la communication ne peut pas se taire devant les publications électroniques nauséabondes attentant à l’honneur et à la dignité des responsables de l’Etat et saisira la justice chaque fois que de besoin pour que les sanctions les plus sévères soient prononcées contre leurs auteurs.
Pourquoi Ie ministère de la communication ne peut pas se taire devant pareilles dérives d’une presse de caniveau ? Parce que la loi l’article premier du décret exécutif n° 11-216 du 12 juin 2011 fixant ses attributions officielles le lui ordonne : « Dans le cadre de la politique générale du Gouvernement et de son plan d’action, approuvés conformément aux dispositions de la Constitution, le ministre de la communication exerce ses attributions sur l’ensemble des activités liés à la promotion, la consolidation de la démocratie et de la liberté d’expression ainsi qu’au développement de la communication ».
En l’espèce, il s’agit d’atteintes à la liberté d’expression bien comprise, dans le strict et absolu respect de la vie privée, du droit à l’image, du secret de la correspondance, de l’honneur et de la dignité des citoyens.
En tant que porte-parole du gouvernement, je suis tenu à la solidarité gouvernementale, ce qui m’autorise à recourir aux articles 144 et 146.
Je rappelle que l’article 146. (Modifié) édicte : « L’outrage, l’injure ou la diffamation commis par l’un des moyens énoncés à l’article 144 bis envers le parlement ou l’une de ses deux chambres, les juridictions ou envers l’armée nationale populaire, ou envers tout corps constitué ou toute autre institution publique, est puni des peines prévues à l’article ci-dessus. En cas de récidive, l’amende est portée au double. »
Par ailleurs, le recours récurrent à la norme juridique émane de notre conviction que le mépris de la caution juridique et la violation de la règle de droit, ou encore la non-exécution des décisions de justice, y compris – peut être bien plus – par notre corporation – car elle est tenue de donner l’exemple – sont antinomiques avec l’Etat de droit que nous aspirons à construire.
Vous remarquerez que les premiers chantiers du secteur portent sur le rapatriement des activités de communication sous l’empire du droit, qu’il s’agisse des sites électroniques, des agences de communication, de la publicité ou encore des chaines de télévision dites « thématiques », en dehors de l’action visant un exercice apaisé du métier de journaliste qui conjugue liberté et responsabilité.
Le réflexe, fortement ancré, du mépris de la règle de droit et son corollaire la sous-estimation de la caution juridique ont tendance à pousser des minorités actives à prendre des raccourcis autoritaires qui peuvent créer des situations de rupture dommageables et despotiques.
Ce qui est généralement appelé la dictature des 3,5 % selon des recherches effectuées par des universitaires de Harvard, dans le cadre des dispositifs de regime change, environ 3,5% de la population participant activement aux manifestations, avec un support électronique performant, souvent actionné de l’étranger, garantirait un changement politique « sérieux ». Aussi, un mouvement est considéré « comme un succès s’il atteignait pleinement ses objectifs à la fois dans l’année suivant son engagement comme résultat direct de ses activités. »
APS