Entretien exclusif
Pierre Galand, président de la Coordination européenne pour le soutien et la solidarité avec le peuple sahraoui (EUCOCO) à La Patrie News : « L’UE n’a pas suivi le roi marocain dans ses errements »
Entretien réalisé par Mohamed Abdoun
Militant au long cours, très engagé dans la défense des causes justes et nobles à travers la planète, Pierre Galand, leader politique et député en Belgique, a fait sienne la défense inconditionnelle des combats palestinien et sahraoui. Il est par ailleurs président de la Coordination européenne pour le soutien et la solidarité avec le peuple sahraoui (EUCOCO). Dans cet entretien exclusif accordé à La Patrie News il analyse avec une étonnante acuité les évènements internationaux à la faveur de la prise de fonction de Joe Biden, sachant que cet entretien a eu lieu mercredi, jour-même de l’entrée en fonction du nouveau président américain. Ce qu’il dit mérite que l’on y réfléchisse. Que l’on s’y attarde aussi.
La Patrie News : permettez-moi d’attaquer cet entretien sans préambules, non sans vous remercier d’avoir accepté de répondre à mes questions. Quelles retombées positives, et/ou négatives escomptez-vous du départ, aujourd’hui de Donald Trump de la Maison Blanche et son remplacement par Joe Biden ?
Pierre Galand : eh bien, vous savez, monsieur Trump, en s’en allant, laisse derrière lui deux choses qui sont toutes les deux des cadeaux empoisonnés. Le premier d’entre eux est ce que j’appellerais le « trumpisme », et cette façon dévoyée de voir la démocratie. C’est le fait d’avoir totalement ignoré le multilatéralisme, ainsi que les textes de loi internationaux. Je parle également de l’absence totale de respect pour les Nations-Unies, l’Organisation mondiale de la santé, l’UNESCO, ou encore l’URNWA, l’organisme international qui s’occupe de la prise en charge des Palestiniens…. Cet homme a commis des dégâts considérables. Il a jeté aux orties tout ce qu’a construit la communauté mondiale depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Il a gravement remis en cause certains droits acquis de haute lutte par tous les peuples, à l’exemple des peuples colonisés en particulier, et de leur droit inaliénable à l’autodétermination. Or il faut savoir que le respect de ce droit détermine pleinement la coexistence pacifique entre les peuples. Il s’agit donc là du premier danger ou cadeau empoisonné laissé par Trump derrière lui. Le second, qui n’est pas moins grave que le premier, est ce qu’il a fait au monde arabe pour l’amener à se plier et à céder à ses exigences à lui, à ses conceptions à lui, et à sa façon de défendre Israël, le grand Israël. Son projet et ses visions sont opposés à toutes les résolutions des Nations Unies. Il a permis au Maroc, notamment de souscrire à un projet qui est de permettre à Israël de dominer tout l’espace palestinien, remettant gravement et sérieusement en cause la solution à deux Etats. Il détruit l’ensemble des perspectives qui étaient portées par les Nations-Unies et confirmées par les accords d’Oslo. Ces derniers s’avèrent être aujourd’hui un cimetière complet pour les Palestiniens.
Avant de parler de la Palestine, est-il possible de poursuivre sur le Maroc ? Pensez-vous que la déclaration de Trump sur la prétendue marocanité du Sahara Occidental a des chances d’être rapidement annulée ou remise en cause par le nouveau président américain ?
Biden, en arrivent au pouvoir, hérite de nombreux cadeaux empoisonnés. Il devrait donc commencer par mettre de l’ordre à l’intérieur des Etats-Unis avant de s’attaquer aux grandes questions internationales ce qui se produit en interne est tellement grave ! Les Etats-Unis sont la superpuissance de la planète. C’est pourtant dans ce pays que la pandémie de coronavirus sévit le plus et où les gens crèvent en très grand nombre. Monsieur Biden doit à l’évidence faire face à des urgences nationales. Mais je garde en mémoire qu’il a également dit qu’il comptait revenir rapidement vers le multilatéralisme international. Il s’agit, entre autres de la sécurité internationale, et de toutes les questions environnementales. Il a besoin de temps pour agir. Les choses ne viendront pas, ni ne changeront pas toutes seules s’il n’y a pas une grande mobilisation derrière le nouveau président américain. Il a également besoin d’une grande mobilisation des alliés traditionnels des Etats-Unis à savoir les Européens. A nous de faire reprendre conscience à monsieur Biden que les questions de paix et de sécurité en méditerranée sont essentielles, pas seulement pour les Africains et les Européens, mais pour les Américains aussi, ainsi que pour la planète entière.
A ce moment-là, il ne faudrait surtout pas que monsieur Netanyahu ainsi que le roi du Maroc en profitent pour exercer une occupation encore plus virulente, encore plus violente au Sahara Occidental, car ce serait un casus belli, voyez-vous….
Nous sommes en plein dedans, notamment avec les ouvertures de consulats au niveau du Sahara Occidental, territoire non-autonome relevant de la quatrième commission onusienne pour laquelle le peuple sahraoui doit décider librement et souverainement de son sort par voie refendaient…
Tout à fait. Le Sahara Occidental a fait l’objet de la résolution 2014 de l’assemblée générale des Nation, laquelle a considéré que le chainon manquant de la charte des nations-Unies est le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. C’est ce qui doit nous mobiliser aujourd’hui, à savoir rappeler que le droit international se construit par le respect des peuples de vivre en paix dans le respect de leur dignité. Or, ce droit est totalement bafoué. En tous cas, je me réjouis de voir qu’aucun pays européen n’a souscrit à l’annonce de monsieur Trump concernant le Sahara Occidental. Aucun de ces pays n’a soutenu, ni suivi, le roi du Maroc dans ses errements. Ce n’est pas tout. Le peuple marocain lui aussi doit être sous le choc. Son chef d’Etat est également un chef spirituel en président le Comité Al-Qods. Or, dans le même temps, il foule aux pieds le droit international. Il est en train de profiter d’une puissance internationale pour essayer de s’imposer au Sahara Occidental. A mon avis, ce qu’il a fait est extrêmement dangereux. A mon sens, le roi et le gouvernement du Maroc ont mis le pied dans un terrain extrêmement miné. En effet, ces derniers sont en train de remettre en cause tous les principes et conceptions qui ont conduit à la construction de l’Union Africain en se servant de la puissance et de l’argent mis à leur disposition par l’Amérique de monsieur Trump. Cette situation est également très dangereuse pour tous les pays de la région. En effet, je pense que ces accords conclus avec Israël amènent des échanges militaires et stratégiques qui n’ont rien à voir avec la stabilité de la région. Plus grave encore, on sait que les intérêts d’Israël et des Américains consistent à déstabiliser toute cette région, afin de garantir leur droit de contrôle sur toute la méditerranée. Il est hors de question d’accepter cela, aussi bien pou les Africains que pour les Européens.
Le loup est dans la bergerie, comme vous avez déjà eu à le dénoncer. Est-ce que Washington, ou n’importe quelle autre puissance, a le droit de se substituer à un peuple en décidant de son sort à sa pace. Je parle surtout des Américains, car ils ont toujours été le « pen holder » de la question sahraouie, et donc situés à équidistance du Polisario et du Maroc…
En politique, rien n’est jamais définitif. C’est là que nous devrons être attentifs en mobilisant le plus grand nombre de sénateurs et de parlementaires américains au sein du sénat et du congrès afin que cette question revienne au-devant de la commission des affaires étrangères. Il faut que la déclaration de monsieur Trump soit dénoncée au sein de cette commission. Ce n’est qu’après cette dénonciation que monsieur Biden aura les mains libres pour faire reprendre à son pays sa place naturelle au sein du concert des nations, en acceptant les règles qui déterminent les relations entre les pays, à commencer par le droit à l’autodétermination de tous les peuples.
Il est donc question d’aider Biden à renverser les rapports de force pour reprendre la main….
La France a un rôle important et particulier à jouer dans cette dynamique. C’est elle, en effet, qui a de tout temps donné voix, et ouvert la voie, aux aspirations marocaines en matière d’occupation coloniale et illégale du territoire sahraoui. C’est aussi la France qui encourage cette prétendue offre d’autonomie formulée par Rabat, alors qu’on sait ce que signifie n’importe quelle offre venant de la part d’une puissance occupante. Une pareille offre ne tient pas du tout la route. La France doit maintenant se rendre compte qu’en ayant tergiversé, et fait perdurer cette espèce d’attentisme en faveur du Maroc, a permis à monsieur Trump d’arriver à l’étape finale. Il s’agit d’une étape complètement folle, selon laquelle il pourrait vendre le Sahara Occidental au Marocain, alors qu’il n’a aucun droit de faire ça.
En Palestine aussi, la situation n’en finit plus de s’aggraver avec cette politique du fait accompli suivi systématiquement par l’entité sioniste. Est-ce qu’une solution deux Etats reste viable à la faveur des « héritages » laissés par le président américain sortant ?
Vous savez, là encore, les règles et le droit international sont extrêmement clairs.
Sauf que rien de tout ça n’a été respecté….
Certes. On a accepté cet état de fait. D’une part, on n’en finissait pas de rappeler aux Européens leur passé vis-à-vis des juifs durant la seconde guerre mondiale. Ce fameux complexe de culpabilité trainé depuis trop longtemps ne doit plus servir de prétexte pour justifier ces situations absolument inacceptables. Aujourd’hui, nous en sommes à une étape nouvelle. Israël bafoue impunément le droit international, et se croit permis d’occuper impunément un autre territoire, de le coloniser, et même d’y appliquer un politique d’apartheid. Des crimes d’apartheid sont régulièrement commis, tant en Israël que dans les territoires palestiniens. L’Europe doit bouger et réagir n urgences. Nous sommes avec vous en méditerranée, dans une proximité immédiate. Nous sommes aussi concernés que vous par ce qui se passe au Proche-Orient, en particulier le triste sort qui est réservé au peuple palestinien. Il n’y aura pas de paix et d’entente mutuelle entre les Etats vivant dans tout le pourtour méditerranéen sans une solution juste, équitable, durable et conforme aux résolutions des Nations-Unies, à la question palestinienne.
Un commentaire concernant l’accord qui a fini par être trouvé entre les mouvements les plus représentatifs du peuple palestinien, l’OLP et le mouvement HAMAS en l’occurrence ?
Il est question de retourner aux urnes. Nous connaissons fort bien les aspirations du peuple palestinien. Il s’agit de respecter son droit de vivre en paix sur son propre territoire. Pour cela, il faudrait que toute la communauté internationale, et pas seulement les Nation-Unies, la communauté européenne, mais aussi la Ligue arabe et l’Union africain s’impliquent. Il faut que tout le monde se mobilise pour dire « maintenant ça suffit » ! Il faut restituer ce droit légitime au peuple palestinien. Au peuple sahraoui aussi. Ce sera ainsi la démonstration que nous avons réussi à tourner une page, qui a été une page sombre et noire de notre histoire. Aucune coexistence pacifique entre les Etats n’est possible sans le respect du droit de touts les peuples à l’autodétermination.
Vous avez évoqué le mot apartheid. Qu’en est-il réellement sur le terrain concernant le refus de l’entité sioniste d’administrer le vaccin anti-coronavirus aux Palestinien, notamment à ses détenus retenus dans ses prisons dites de « haute sécurité » ?
Ecoutez, je ne sais rien de plus que ce qui a été publié par certains médias, à priori crédibles et sérieux. Je n’ai pas plus d’informations de la part de mes partenaires.
Je souhaite, pour finir, que nous puissions continuer de défendre les droits légitimes de ces deux peuples frères, qui se battent et se sacrifient depuis tant d’années, depuis 1947 pour les Palestiniens et 1974 pour les Sahraouis. Ils ont eu le courage de se soulever et de se battre au prix d’énormes sacrifices. Faisons, nous, en sorte qu’ils soient entendus, et bien entendus.