Nigeria : Une manifestation contre la brutalité policière tourne à «l’horreur»
«Horreur» et «choc» sont les deux mots qui résument le sentiment des Nigérians après avoir appris que des manifestants ont été abattus par des hommes en tenue militaire à Lagos alors qu’ils manifestaient contre la brutalité policière. Beaucoup de ces manifestants sont drapés des couleurs verte et blanche du drapeau national.
«Nous étions assis par terre et chantions l’hymne national du Nigéria et la plupart d’entre nous avions des drapeaux dans nos mains et nous l’avons soulevé», déclare à la BBC un témoin qui a requis l’anonymat.
«Puis ils ont ouvert le feu directement sur nous et ils ont continué à avancer et à avancer. Une ou deux personnes ont été touchées. Tout le monde s’est levé et c’était devenu le chaos total», a-t-il dit.
Les troubles ont commencé au crépuscule, deux heures après l’entrée en vigueur d’un couvre-feu à Lagos.
Le couvre-feu avait été imposé mardi pour endiguer des manifestations qui, dans un premier temps, dénonçaient une unité de police : la Special Anti-Robbery Squad (SARS), avant de se transformer en appels plus large pour une meilleure gouvernance.
Les manifestants, rassemblés pendant les deux dernières semaines au péage de Lekki pour empêcher la circulation de voitures sur une autoroute principale, ont déclaré qu’ils ne voulaient pas rentrer chez eux et qu’ils sont pacifiques.
Obscurité totale
Soudain, des hommes en treillis de l’armée ont commencé à tirer. Des séquences vidéo montrent qu’il y avait de l’obscurité ce qui signifie que les lampadaires ont été éteints.
Quelques jours auparavant, un message s’était répandu sur les réseaux sociaux selon lequel les militaires ne s’en prendront pas à des civils non armés chantant l’hymne national et tenant le drapeau. Alors que le peloton d’une vingtaine d’hommes armés s’est rapproché, les manifestants se sont assis, se sont serrés les mains et ont commencé à chanter à l’unisson.
C’est à ce moment-là que le tournage de la vidéo a commencé. Une vidéo émouvante: la voix d’un homme, chantant l’hymne, s’est élevée au-dessus du chaos, puis a commencé à trembler à mesure que les fusillades augmentaient.
Mais certains n’ont pas terminé l’hymne. Au moment où les tirs se sont calmés, des témoins disent qu’une douzaine de manifestants gisaient par terre, sans vie.
Les photos partagées sur les réseaux sociaux montrent que certains corps étaient couverts de drapeaux nigérians ensanglantés.
L’armée nigériane, qui avait lancé vendredi dernier un avertissement aux «éléments subversifs et fauteurs de troubles» de ne pas protester, a rejeté les informations selon lesquelles elle était responsable de l’horreur de mardi et parle de «fausses nouvelles».
Des images vidéo de la scène montrent que les personnes qui ont tirées portaient des uniformes militaires, que seule l’armée est autorisée à porter.
Le gouverneur de Lagos, Babajide Sanwo-Olu, indique que 25 personnes avaient été blessées dans «l’incident malheureux de la fusillade».
Une « honte »
«Le gouvernement nigérian, vous êtes une honte au monde pour avoir tué vos propres citoyens, envoyé des militaires dans la rue pour tuer des manifestants non armés parce qu’ils protestent pour leurs propres droits?» a tweeté Odion Ighalo, le footballeur nigérian qui joue pour Manchester United.
«C’est la nuit la plus difficile de notre vie alors que des forces échappant à notre contrôle direct se sont déplacées pour poser ces actes de violence dans notre histoire, mais nous y ferons face et en sortirons plus forts», a-t-il déclaré.
Guterres appelle au calme
Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a d’ailleurs, souligné vendredi la nécessité de respecter «le droit aux manifestations pacifiques» au Nigeria, tout en évitant le «recours à la force» contre les manifestants.
Les autorités nigérianes doivent «faire preuve de retenue et ne pas recourir à la force lorsqu’elles sont confrontées à des manifestations», a-t-il dit lors d’une conférence de presse à New York.
Les événements dramatiques de ces derniers jours «ont été condamnés par l’ensemble de la communauté internationale», a rappelé M. Guterres, affirmant avoir «entendu du président (Muhammadu Buhari) un engagement ferme à faire tout son possible pour éviter ce genre d’évènements».
«J’espère que ce sera le cas à l’avenir», a précisé le chef de l’ONU, en souhaitant aussi que «ceux qui ont des doléances à exprimer puissent le faire de manière pacifique au Nigeria».
Vendredi, les forces de sécurité reprenaient peu à peu le contrôle de la mégapole tentaculaire de Lagos, où l’on pouvait entendre encore des coups de feu sporadiques, après trois jours de violences et de contestation populaire dans le sud du Nigeria, selon les médias.
M.M.H