Mémoire coloniale : Macron pourrait-il rester sur la position du « ni-ni » ?
(Par Noureddine Khelassi)
Le président français Emanuel Macron a donc confié à l’historien aux profondes racines ancestrales algériennes, Benjamin Stora, une mission officielle sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie ». Le but politique est de faciliter « la réconciliation entre les peuples français et algérien ». Selon les souhaits du jeune président français, qui n’a pas d’attaches organiques ou de liens affectifs avec l’Algérie colonisée, cette mission « permettra de dresser un état des lieux juste et précis du chemin accompli en France sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, ainsi que du regard porté sur ces enjeux de part et d’autre de la Méditerranée ». Il a ajouté notamment qu’il « souhaite s’inscrire dans une volonté nouvelle de réconciliation des peuples français et algérien », car « le sujet de la colonisation et de la guerre d’Algérie a trop longtemps entravé la construction entre nos deux pays d’un destin commun en Méditerranée ».
Prenons-en donc acte et soyons à priori optimistes en pensant que cette démarche du huitième président de la Vème République serait de bon augure ! Et retenons, pour l’instant, que l’actuel chef de l’Etat français semble avoir deux nobles objectifs : la « réconciliation » entre nos deux peuples et éviter, à l’avenir, que les mémoires respectives de la colonisation ne soient plus une entrave à la « construction entre la France et l’Algérie d’un destin commun en Méditerranée ».
En attendant, reconnaissons tout de même au président Macron d’avoir mieux fait que tous ses prédécesseurs de gauche et de droite sur le registre du « courage mémoriel ». Il a donc effectué des pas politiques à plus forte valeur symbolique. Le général de Gaulle, resté dans la logique de la perte traumatique de la colonie-Algérie a, lui, amnistié tous les criminels de guerre en 1963. Il a alors imposé le silence en décrétant l’oubli collectif et juridique des crimes commis, pensant apaiser de la sorte les esprits meurtris par la blessure narcissique collective issue de la perte de « l’Algérie française ». Après lui, George Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand on persisté dans l’oubli et le déni, en continuant à qualifier officiellement la guerre d’Indépendance de simples « événements » !
Il a fallu attendre 1999 pour voir le président Jacques Chirac, un ancien officier subalterne de l’armée coloniale en Algérie, reconnaître enfin que ce qui est appelé la « Guerre d’Algérie » en France fut vraiment une guerre ! Ce pas tardif mais significatif fut suivi en 2003 d’un geste mémoriel « subtilement vicieux », qui a consisté à remettre à son homologue algérien, à Alger, le sceau du dernier Dey de la Régence ottomane. A savoir, le cachet de sa honteuse reddition avec lequel il a signé dans la Villa Djenane Raïs Hamidou à El Biar, le traité de capitulation, le 5 juillet 1830. Que l’on se rappelle également que ce « cadeau » fut suivi, deux ans après, par la promulgation d’une loi scélérate glorifiant les « bienfaits de la colonisation » !
Après Chirac, Nicolas Sarkozy s’est d’abord contenté d’envoyer des signes de conciliation et d’apaisement en direction des harkis « abandonnés » par la France, avant de prêcher un discours qui ne l’engageait en rien, car se contentant de vagues propos qualifiant le système colonial « d’injuste par nature » et « d’entreprise d’asservissement et d’exploitation ». A sa suite, madré et prudent, François Hollande reconnait en décembre 2012 à Alger « les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien », acte précédé moins de trois mois avant de la reconnaissance officielle des massacres d’Algériens le 17 octobre 1961 à Paris.
Bouclant la boucle des petits pas de la reconnaissance mémorielle, le président Emanuel Macron est quant à lui allé plus loin que ses devanciers en qualifiant la colonisation de « crime contre l’Humanité » et de « vraie barbarie », préconisant même de présenter des « excuses » aux Algériens qui ont en été victimes. On sait ce qu’il en est advenu par la suite de cet acte politique courageux émis en son temps par un candidat à l’Elysée : le futur président a vite mis beaucoup d’eau politique dans son vin mémoriel, en essayant de ne pas mécontenter ses différentes clientèles électorales, dont une partie est constituée de lobbys de la mémoire coloniale influents à droite et au sein de l’Extrême-droite. Vite converti aux charmes de la Realpolitik, Emanuel Macron se montra alors habile dans la posture du président de la République qui se dévoile sans s’exposer en campant sur une position de « ni-ni », celle de « ni déni, ni repentance » !
Aujourd’hui, Macron veut déminer le terrain périlleux des mémoires coloniales en France où elles se conjuguent au pluriel, marquées qu’elles sont du sceau de ce que l’historien Benjamin Stora a appelé éloquemment « la gangrène et l’oubli », titre par ailleurs d’un de ses livres historiques les plus sagaces. Souhaitons donc à ce dernier de connaître le bonheur de la réussite dans sa mission républicaine, mais regardons quand même de près ce que renferme, du point de vue juridique, la notion de « crimes contre l’Humanité » telle qu’énoncée par Emanuel Macron. On sait que c’est en parfaite connaissance de cause que les juristes et magistrats français ont ciselé dans les années 1990 une définition du « crime contre l’humanité » qui écarte la torture, les exécutions sommaires et les massacres commis par l’armée française dans les années 1954-1962. La formule ainsi utilisée par Macron à Alger n’aurait pour ainsi dire qu’une valeur symbolique, celle de la manifestation d’une bonne volonté politique, et que tout porte à croire que son usage ne ferait que perpétuer l’esprit de l’amnistie général décrétée par De Gaulle en 1963 ! Mais, disons-le franchement, là n’est plus la question, car personne ne demande officiellement à la France de se repentir ou de juger, à titre posthume et in absentia, les criminels de guerre français.
A Alger, on n’ignore pas également que l’actuel président français ne veut déboulonner aucune statue de criminels colonialistes, et que la République, entendre lui-même, « n’effacera aucune trace, ni aucun nom de son Histoire ». Et on comprend en même temps son souci de « réconcilier les mémoires » concurrentielles, voire antagoniques en France, en refusant autant le « déni » que la « repentance ». Mais l’on s’interroge toutefois sur le peu d’entrain qu’il montre à créer par exemple un musée de l’histoire coloniale, dont la France reste dépourvue. Et on se demande s’il ne trouve pas quelque inconfort à s’arcbouter à cette position équilibriste du « ni-ni » ? Mais gageons que l’auteur du livre-fondateur « la Gangrène et l’oubli », en mission mémorielle ad hoc, saura lui suggérer des actes concrets sur la voie de la résorption progressive du trauma colonial en France, de la reconnaissance officielle de tous les crimes de la colonisation et de la réconciliation des peuples de France et d’Algérie pour mieux bâtir ce « partenariat d’exception » et ce « destin commun en Méditerranée ».
Des actes concrets, comme la restitution du canon mythique « Baba Merzoug » toujours séquestré dans l’Arsenal du port de Brest. Ou encore les couleuvrines du Palais du Dey installées dans l’enceinte de l’Hôtel militaire des Invalides à Paris. Sans oublier les restes mortuaires les plus symboliques, ceux de l’ancêtre le plus ancien et surtout le plus connu des Algériens, l’Atlanthrope de la région de Mascara. Autrement dit l’Homomauritanicus, l’Homme de Palikao ou encore l’Homme de Ternifine (Tighenifine), vieux de 600.000 à 700.000 ans, et dont le crâne et d’autres fragments, découvert en 1954 par le paléontologue français Camille Arambourg (maitre du célèbre paléontologue et paléoanthropologue Yves Coppens) sont déposés au Muséum d’Histoire naturelle à Paris. Là même où étaient séquestrés les 24 crânes prestigieux des moudjahidine morts en s’opposant à la colonisation de l’Algérie durant le 19ème siècle.
« Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour », disait Pierre Reverdy, le poète français qui fut notamment le compagnon de route de Pablo Picasso, Henri Matisse, André Breton et Louis Aragon.
N.K.