Dans son interview à l’Opinion, le chef de l’Etat se révèle réformateur patriote, pragmatique, volontariste et pondéré
Le Président Tebboune veut procéder à un aggiornamento de la politique extérieure et intérieure !
Dans sa récente interview au quotidien économique français et libéral, européiste et pro-business, L’Opinion, le président Abdelmadjid Tebboune s’est présenté en chef de l’Etat algérien réformateur résolu et raisonnable, patriote décidé, volontariste et modéré. Derrière ce profil qui s’est esquissé au fil de l’entretien, est apparu également un Premier Magistrat conscient du lourd héritage des années de la gabegie, de l’impéritie, du gaspillage, de la dilapidation et, pis encore, de l’abandon progressif de pans entiers de la souveraineté nationale.
Est apparu également un homme soucieux du facteur temps et qui sait qu’il doit engager une course contre la montre pour faire beaucoup plus, mieux et plus vite que par le passé. L’on comprend donc que l’enjeu majeur est par conséquent de reconstruire, déconstruire et construire sur la base de ce qui s’apparente à un « champ de ruines, un champ de mines », selon la formule du ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, M. Ammar Belhimer.
Ces nouveaux chantiers de la « Nouvelle République », passent donc par un aggiornamento tranquille de la politique intérieure et de la diplomatie qui reposeront sur un nouveau socle de paradigmes et de principes directeurs. C’est ce qui ressort, en clair et en filigrane, de l’interview claire et directe du président de la République.
Sur le front extérieur, le chef de l’Etat précise que ce sont la géopolitique, l’Histoire, les intérêts et la sécurité nationale qui déterminent la politique étrangère qui est elle-même le reflet de la politique intérieure.
Le Président évoque, un à un, les dossiers essentiels de la diplomatie algérienne appelée à se recentrer sur les fondamentaux qui l’ont toujours déterminée, mais aussi à se redéployer sur ses axes naturels, à savoir le voisinage, la profondeur stratégique subsaharienne, son africanité, son enracinement méditerranéen, son espace stratégique arabe et son ouverture sur le monde à travers les liens multiformes avec l’Occident et le nouveau pôle mondial émergent où la Chine et la Russie, partenaires historiques et stratégiques de l’Algérie, en constituent la colonne vertébrale.
A titre d’exemple, avec la France, pays auquel l’Algérie est liée par le poids du passé colonial et les questions économiques, culturelles et humaines via une très importante communauté algérienne, le président Abdelmadjid Tebboune montre qu’il n’est pas victime de tropisme, d’a-priori ou de quelques autres arrière-pensées.
Il a plutôt des préjugés favorables à l’endroit de son homologue français Emanuel Macron qu’il crédite de bonnes intentions et chez qui il trouve de la bonne volonté, ce qui signifie que, au minimum, entre les deux hommes, le courant est déjà bien passé. Ce qui est de bon augure.
En livrant sa vision de la nouvelle relation apaisée et basée sur le partenariat équilibré et respectueux, de type gagnant-gagnant qu’il s’agit de fonder désormais entre les deux parties, le chef de l’Etat en livre ce qui est une clé de déverrouillage fondamentale : l’apurement en commun du contentieux mémoriel, à travers le travail collaboratif sur la mémoire coloniale confié, de part et d’autre, à deux historiens considérés comme des autorités intellectuelles et morales en la matière, et qui travailleraient sous les tutelles respectives des deux présidents.
Le règlement du contentieux mémoriel est donc indispensable pour améliorer les relations politiques et économiques, renforcer le climat des affaires et l’entente cordiale entre les deux pays. La question de la mémoire est par la force des choses un préalable nécessaire et en aucun cas un frein rédhibitoire.
A l’égard du Maroc frère et voisin, le chef de l’Etat est dans un même état d’esprit. S’il reconnait qu’il y a toujours eu de la surenchère verbale entre les deux pays, le président Abdelmadjid Tebboune réaffirme que l’Algérie n’a aucun problème avec le Maroc et que son soutien indéfectible à l’autodétermination du peuple sahraoui est inspiré d’une philosophie diplomatique héritée de la guerre d’indépendance du colonialisme français. Elle fait donc partie d’une politique anticolonialiste qui a incité l’Algérie à soutenir tous les mouvements indépendantistes dans le monde. Cette théorie, c’est presque du dogme, a-t-il souligné. Le Président dit notamment que lui-même et ses compatriotes ne peuvent pas être plus Sahraouis que les Sahraouis eux-mêmes. Comprendre par conséquent que l’Algérie adoptera ce que le peuple Sahraoui aura lui-même accepté, pour peu qu’on lui donne l’occasion référendaire libre pour s’exprimer à ce sujet.
Il en va de même pour la Libye et le Mali frontaliers avec lesquels l’Algérie partage des choses dictées par la géographie, l’Histoire, le facteur humain, les intérêts économiques, les échanges culturels et le devoir de solidarité dans le temps et dans l’espace. Bref, des liens qui découlent du souci d’éviter le délitement de ces deux pays dont l’éventuelle dislocation, en raison de leurs grandes fragilités structurelles et leurs contradictions tribales, est un enjeu vital de sécurité nationale.
S’agissant spécifiquement de la Libye et du Mali, le président de la République répète, tel un leitmotiv réaliste, que les solutions militaires sont inopérantes, car généralement stériles et souvent improductives ou contreproductives. Pour le Mali, la question doit être simplifiée au maximum, en allant plus loin que les Accords de paix d’Alger, en combattant le terrorisme dans le terreau sahélien global et en privilégiant en même temps des solutions politiques inclusives qui garantissent l’intégrité territoriale de ce pays, intégrité géographique dont dépend la stabilité politique de l’Algérie. Cette même question de la stabilité sous-tend l’action diplomatique de l’Algérie vis-à-vis de la Libye : le président algérien considère que le cessez-le feu n’est qu’une étape dans un processus politique dans lequel la nouvelle donne consiste à travailler sur une nouvelle feuille de route conduisant à des élections apaisées dans une échéance de deux ans, sous supervision onusienne et sous la conduite d’un gouvernement de transition issu d’un solide consensus national.
Sur le front intérieur, le chef de l’Etat dit sans détour que le pays vit nécessairement une période de transition qui ne dit pas son nom, sur le double plan politique et économique. Une phase délicate qu’il s’agit de négocier en douceur en adoptant une constitution consensuelle favorisant un régime semi-présidentiel où le pouvoir du président de la République est atténué, tempéré, équilibré, grâce notamment au contrôle parlementaire sur l’Exécutif et à l’élargissement du champ des libertés citoyennes. Et grâce aussi à une loi électorale qui dissociera l’argent sale de la politique en le chassant notamment des processus électoraux. Pour y contribuer, le chef de l’Etat prône l’apaisement continuel du climat politique et social en annonçant des gestes progressifs en direction du mouvement populaire national qu’est le Hirak du 22 février 2019. Avec ce souci permanent qui l’habite : l’Etat et sa stabilité sont des lignes rouges indépassables, car seul un Etat fort peut garantir une démocratie apaisée et responsable.
Sur le plan économique, le président Abdelmadjid Tebboune fait là aussi preuve de pragmatisme et d’esprit réformateur réaliste mais non dépourvu d’ambition et de vision. Tout en se montrant conscient de l’étendue de l’héritage né des années de bradage des richesses nationales et de leur détournement systématique, il a esquissé les éléments d’une NPE, une nouvelle politique économique, fondée notamment sur la valorisation des ressources, la lutte contre la grande et la petite corruption, la réduction du train de vie de l’Etat, les économies substantielles de ressources et l’abolition de la règle du 51/49 qui ne doit plus être un frein à l’investissement étranger. De même que l’adoption d’une nouvelle politique minière avec le lancement de grands chantiers structurants comme l’exploitation du gisement de fer de Ghara Djebilet et celui de zinc de Oued Amizour. Tout comme la relance du hub portuaire d’El-Hamdaniya à Cherchell et la transsaharienne ferroviaire en parallèle à la transsaharienne routière avec l’Afrique sahélienne et bien au-delà. En résumé, une nouvelle politique économique basée sur l’idée de faire plus et mieux avec moins de ressources.
En politique intérieure comme en politique extérieure, le chef de l’Etat a ainsi esquissé les contours d’une nouvelle conception nationale. Une construction rénovée dans ses bases doctrinales, ciblée sur des objectifs précis et assise sur des paradigmes clairs et simples. S’adapter, changer, évoluer, trois mots d’ordre dans une démarche patriotique et pragmatique qui défend l’intérêt national avant et après tout. Un front intérieur fort assis sur le consensus national le plus fort possible et la mobilisation optimale des ressources matérielles et humaines du pays en temps de crise profonde, marquée par le rétrécissement drastique des revenus pétroliers et les conséquences de grande ampleur de la pandémie du Covid-19.
Et, en guise de corollaire extérieur, une diplomatie désormais assise sur la doctrine de soft power qui mobilise, au service de l’influence de l’Algérie, diplomatie traditionnelle, diplomatie parallèle, action culturelle, coopération économique, aide au développement de pays tiers, tourisme et rayonnement de l’Islam modéré et propagateur de paix et de fraternité dans le monde.
N.K.