La France doit reconnaître officiellement le martyre du peuple algérien
(Par Noureddine Khelassi)
La célébration de la glorieuse offensive militaire du Nord-Constantinois, appuyée par la population le 20 août 1955, est une nouvelle occasion pour rappeler cet axiome du président Houari Boumediene : Tourner la page de la colonisation, ne signifie pas la déchirer. Cette vérité immuable avait été rappelée au président Valery Giscard d’Estaing, à Alger, en 1975.
Quarante deux ans après, c’est au tour du président Abdelaziz Bouteflika, ancien ministre des Affaires étrangères du deuxième président de l’Algérie indépendante, de la rappeler au jeune président Emanuel Macron. A l’occasion de la commémoration du 55e anniversaire de l’Indépendance, il avait en effet souligné à son homologue français que l’Algérie, lorsqu’elle exerce son devoir de mémoire, le fait sans haine à l’égard de la France d’aujourd’hui. Une France qui a cependant l’obligation de reconnaître les souffrances incommensurables infligées par la colonisation au peuple algérien 132 ans d’occupation durant. Le «partenariat d’exception» que la France souhaitait construire du temps des présidents Chirac et Hollande, «gagnera en sérénité et en élan dans une reconnaissance des vérités de l’Histoire», avait alors souligné le président Bouteflika.
La reconnaissance du martyre du peuple algérien semble être désormais une condition politique nécessaire à toute forte impulsion des relations bilatérales. Cela pourrait signifier que ce partenariat ne sera jamais d’exception tant que les souffrances endurées par le peuple algérien durant la colonisation ne seraient pas officiellement reconnues par l’Etat français.
Mais que demandait au juste le président Bouteflika, et que demanderait aujourd’hui au président Macron son successeur Abdelmadjid Tebboune ? Tout simplement, une reconnaissance officielle et solennelle des crimes de la colonisation, sur le mode du confiteor, le fameux «je reconnais, j’avoue» bien chrétien. Il ne s’agit donc pas de repentance pure et simple car mêlée au regret douloureux que l’on a de ses péchés mortels, de ses fautes lourdes et du désir ardent de se racheter. Les pays colonisés, dont l’Algérie qui a pâti le plus de la colonisation, n’ont jamais été dans une approche foncièrement culpabilisante de l’ex-puissance coloniale. Les anciennes colonies de confession musulmane, elles, peuvent même exciper de l’argument religieux qui veut qu’«aucune âme ne portera le fardeau d’autrui, et qu’en vérité l’homme n’obtient que le fruit de ses efforts» (sourate 62 de l’Etoile, versets 37, 38).
En tout cas, il n’a jamais été envisagé de demander officiellement à la France d’aller à Canossa. D’exiger d’elle une dure pénitence marquée d’une douloureuse flagellation. Personne ne lui demande donc d’être tondue, en robe de bure, et de s’agenouiller pour demander, assez contrite, le pardon. D’ailleurs, ni les Algériens, ni les autres peuples qui ont subi eux aussi le joug de la colonisation française ne veulent l’amener à se couvrir la tête de cendres. La sorte de repentance attendue de la France n’a aucune forme à connotation religieuse et pénitentielle. Elle est juste une simple reconnaissance, c’est-à-dire officielle, des souffrances subies par les peuples qu’elle a colonisés.
Cette reconnaissance ne doit en aucun cas se borner à juste souligner «le caractère inacceptable des répressions engendrées par les dérives du système colonial», comme l’a fait le président Jacques Chirac en 2005. Ou encore de défoncer une porte ouverte en admettant que la colonisation en Algérie fut «une tragédie inacceptable», comme l’avait fait l’ancien ambassadeur à Alger Bernard Bajolet. Ou, enfin, de dire, banalement il est vrai, comme d’ailleurs le président Nicolas Sarkozy, en 2007, à Constantine, que «le système colonial a été profondément injuste ». Finalement, ce qui est demandé à la France, ce n’est pas tant une repentance individuelle, qui serait cantonnée au seul domaine franco-algérien, même si cela devrait commencer par l’Algérie. Ce qui est attendu d’elle, c’est un devoir de vérité et de reconnaissance pour toutes les victimes de la colonisation française, quelles que soient leurs origines.
En fin de compte, ce n’est pas verser dans le délire mémoriel, encore moins attiser la guerre des mémoires que d’accepter que les anciens peuples colonisés reçoivent, comme juste réparation, une reconnaissance expiatoire qui dénonce, de manière officielle, solennelle et symbolique, le fait colonial. Ce n’est pas la mémoire assumée, c’est évident, qui dresse les murs et nourrit la haine de l’Autre. L’anti-reconnaissance et le refus de présenter des excuses publiques dignes d’un pays civilisé constituent une entreprise d’auto-exonération par excellence. C’est cette entreprise – qui ne dit pas son nom – qui empêche la France et l’Algérie d’édifier ce partenariat d’exception tant vanté par les présidents Chirac et Hollande.
Ne jamais l’oublier, le devoir de mémoire est un devoir de vérité, une obligation de reconnaissance. C’est un impératif catégorique de la loi morale envers les vivants qui portent le poids d’un passé douloureux toujours lourdement présent.
N. K.
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