«FACE A LA DEPRECIATION DU DINAR, COMMENT SE PREMUNIR CONTRE LE RISQUE DE CHANGE ?»
LE HEDGING, UNE VISION STRATEGIQUE DANS LA GESTION DU RISQUE DE CHANGE
(*) Mohamed HAICHOUR, MSc, EMBA.
Membre du club d’Alger du Centre Algérien
de Diplomatie Économique.
DEUXIEME PARTIE
Le corpus de la première partie de cet article a expliqué en détails le fonctionnement du régime de change algérien, ainsi que les possibilités de couverture contre le risque de change qui s’offrent au financier de l’entreprise. Il a mis également en exergue les différents instruments de couverture interne disponible auprès de l’entreprise afin d’éliminer le risque de change sans pour autant solliciter les institutions financières qui proposent des solutions exclusives pour faire face au risque de change.
Cette deuxième partie, abordera en toute simplicité, dans la limite du possible, et d’une manière approfondie les mécanismes de couverture contre le risque de change en utilisant des instruments externes à l’entreprise, ainsi qu’un retour des utilisateurs « Entreprises » sur le fonctionnement de ces produits change à terme dans la gestion quotidienne de leurs engagements vis-à-vis l’étranger.
Plusieurs raisons font que les entreprises généralement préfèrent utiliser des techniques de couverture externes via des institutions financières dédiées, qui offrent des solutions adaptées à leurs besoins, afin de permettre à l’opérateur économique de se prémunir contre le risque de change. L’entreprise peut se couvrir contre le risque de change par la souscription à des assurances que proposent des organismes externes comme la Coface. Ces assurances ont pour objet de permettre aux entreprises exportatrices d’établir leurs prix de vente et de passer des contrats en devises sans s’exposer au risque de modification ou de variation des cours de change.
La couverture sur le marché à terme est l’une des stratégies les plus utilisée par les entreprises, étant donné la simplicité de sa mise en place. Cet instrument type dérivé de première génération « Plain Vanilla », est autorisé par la banque d’Algérie sous le même dispositif règlementaire 20-04.
La couverture à terme se manifeste par un échange d’une devise contre la monnaie locale DZD selon un taux de change d’achat ou de vente de devises fixé à présent pour une échéance future.
L’exportateur, pour se couvrir contre les effets du risque de change lié à la variation du cours d’une devise, vend à terme à sa banque le montant de sa créance. Il fixe ainsi de façon précise le montant de la monnaie nationale qu’il encaissera à l’échéance. L’importateur, quant à lui, pour se couvrir contre le risque de change lié à l’appréciation éventuelle d’une devise, achète à terme les devises correspondant au montant de sa dette. Il connaît ainsi avec exactitude le montant en monnaie nationale qu’il devra payer. Il est à signaler que ces contrats sont fermes et que l’exportateur ou l’importateur ne peuvent bénéficier d’une évolution favorable ultérieure de la devise.
Le « Outright Forward » est le seul instrument disponible actuellement en Algérie. En effet, il permet d’éliminer le risque de change en contractant avec la banque un cours à terme au préalable avec sa banque domiciliataire. Cet instrument peut être utilisé par le financier pour couvrir ses importations ou éventuellement exportation selon la politique de couverture adoptée.
Afin de clarifier le concept de couverture face au risque de change, il est nécessaire que les financiers des entreprises ne confondent pas entre l’aspect spéculatif qui est une logique à bannir totalement et l’utilité de cette solution pour maitriser les coûts et minimiser les éventuelles pertes de change. Le financier peut souscrire à un contrat à terme une fois que l’opération « Trade » est domiciliée auprès de sa banque. Ce dernier doit être bien informé et devrait suivre en continu le marché de change, car le timing de couverture est important étant donné qu’il peut profiter d’une éventuelle opportunité sur marché dans le cas où la devise perd de la valeur face au dinar. Dans certains cas, l’écart entre les différents cours de la journée est important qui peut aller jusqu’à 30 points de base de différence.
Il est dans l’intérêt de l’entreprise de faire recours à ce produit selon une politique de couverture réfléchie et planifiée dès le départ. Chaque année, le financier prépare un budget pour l’exercice en cours pour validation. Les importations sont libellées en devise, contrairement à la production et la vente qui sont libellées en monnaie locale. Dans cet exercice il y aura un taux de change qui fixera le budget nécessaire à l’entreprise pour honorer ses engagements en faveur de ses fournisseurs étrangers. Afin que l’entreprise reste toujours dans ce budget, il va falloir qu’elle trouve le taux de change moyen d’équilibre entre les paiements couverts par un FORWARD et les paiements qui s’effectuent au cours SPOT c’est-à-dire selon le taux de change de la journée.
Cette politique permettra à l’entreprise de profiter d’une opportunité sur le marché si le Dinar s’apprécie. Dans le cas contraire, les paiements s’effectuent selon un cours négocié au préalable avec la banque et qui sera inférieur à celui de la journée d’exécution du transfert. Le plus important pour l’entreprise est de rester dans le budget selon un taux de change moyen en évitant ainsi l’exercice d’ajustement à chaque fois que le cours s’écarte du niveau prévu dans l’élaboration du budget.
Toutefois, il est à signaler que les techniques visant à mesurer l’évolution des cours de change mobilisent des ressources humaines ou financières importantes. La technique du termaillage, basée principalement sur cette estimation de l’évolution des cours, n’est applicable qu’avec des financiers bien introduits dans les activités de marché et ayant un background académique et professionnel familier avec ces opérations financières. Le timing de l’opération, le Pricing, le choix de l’instrument ainsi que l’anticipation des trajectoires des paires de devises nécessitent une ressource bien connectée au marché de change que ce soit en local ou à l’international.
L’instabilité économique que le pays est en train de vivre, a conduit les entreprises algériennes à être plus attentives aux risques de change des devises face au Dinar. Elles continuent à chercher à mettre en place un et/ou des instruments de couverture efficaces permettant de se couvrir contre les effets néfastes inhérents à ce risque. Il est vrai que la couverture par une version de change à terme plus au moins flexible tel que le « Flexi-terme » ou bien les options de change sont les alternatives les plus avantageuses pour les entreprises algériennes vu la rigidité de la version de change à terme actuellement disponible dans le marché algérien.
Il est entendu par la rigidité, l’incapacité de cet instrument de couverture de faire face aux différents changements liés aux problématiques de fixation des dates de paiements difficile de maitriser par les financiers des entreprises. Ces difficultés sont liées aux contraintes de logistique ou bien les retards de livraison accusés par les fournisseurs. Il est donc difficile pour le financier de l’entreprise de maitriser avec certitude la date du paiement pour laquelle il conclut un contrat à terme avec son banquier, sachant que selon la règlementation en vigueur, la demande de couverture est adossée à une opération commerciale « Trade ». Une fois que les termes du contrat changent, le prix à terme « cours à terme » change systématiquement. Par conséquent, il y aura d’autres frais financiers additionnels générés lors de la conclusion du nouveau contrat à terme.
Depuis la promulgation du premier règlement 17-07 en 2017, les entreprises algériennes versées dans la production œuvrant à l’international, commencent timidement à se soucier de l’impact que la dépréciation du dinar pourrait avoir sur leurs marges bénéficiaires. Depuis l’accélération du processus de dépréciation de la monnaie locale entamée ces derniers mois, voire depuis le début de la pandémie Covid-19, il a été constaté selon le comportement de couverture adopté par les entreprises algériennes, qu’une petite catégorie avait commencé par des opérations en guise de test avec des petits montants afin de mieux maitriser ce nouveau processus opérationnel « End-to-end » et constater en pratique leur dénouement avec les banques.
Une fois que la maitrise commence à prendre forme, les entreprises bien structurées exposées sur des délais de paiements plus au moins longs, à un important risque de change se couvrent systématiquement. Toutefois, la majorité d’entre elles ne le fait que de manière sélective. Ce comportement est suffisamment visible pour que l’on cherche les raisons. Il semble que le comportement de couverture en Algérie est déterminé par la perception accordée au risque de change. Ce comportement, paraît, répondre à une prudence des entreprises recourant à une couverture systématique ; ou un but de spéculation dans une conjoncture économique instable si ce n’est qu’une facilitation du processus de gestion du risque de change, chez les entreprises se couvrant d’une manière sélective.
La couverture à terme sous contrat Forward reste en pole position, en l’absence des opérations d’option de change et l’octroi du crédit en monnaie de devise forte. La compensation est rarement utilisée par les entreprises algériennes, elle constitue un instrument de couverture pratiqué surtout par les entreprises qui sont à la fois importatrices et exportatrices.
Le peu de devise reçu dans le cadre de l’exportation est utilisée pour servir comme frais de missions pour se déplacer à l’étranger, payer quelques services prévus par le contrôle de change, ou bien pour promouvoir les activités d’exportation.
La plupart des entreprises algériennes ne se couvrent pas contre le risque de change faute d’une vulgarisation de ce produit par les banques de la place (deux banques privées qui offrent ce produit) ou par méconnaissance du produit de change à terme.
Concernant le mode de gestion du risque de change par les entreprises locales, ces dernières manquent de vision stratégique dans la gestion quotidienne de leurs opérations de change. Ce n’est que depuis que le Dinar a commencé de se déprécier brusquement et d’une manière significative que les responsables des entreprises sont devenus plus attentifs aux conséquences du risque de change. En effet, la couverture contre le risque de change vient plutôt comme une réaction par rapport au glissement du dinar que comme une action réfléchie et prévue qui devrait intégrée dans la gestion de leurs activités économiques.
Au terme de cette analyse, il convient de tirer les conclusions suivantes : La gestion du risque de change revêt un grand intérêt pour les entreprises et doit être une partie centrale de la gestion stratégique de toute entreprise, car l’amélioration des résultats commerciaux et financiers de l’entreprise conduit à un développement global du tissu économique national.
La décision d’utiliser des instruments de couverture est semblable à la souscription à une assurance. Si la plupart des entreprises algériennes utilisent la couverture à terme, d’autres restent toujours au niveau des outils classiques, ceci par souci de simplification et/ou par manque de moyen. En effet, la gestion du risque de change reste encore non prise en considération dans les grands domaines d’action stratégiques. Plusieurs améliorations et développements sont inéluctables afin de lui permettre de mieux correspondre aux besoins actuels. Si la couverture par les options ou bien les contrats de change à terme plus flexibles devaient être appliquée, elle nécessiterait un staff dédié dans des structures adaptées en raison de sa complexité accrue. Ces instruments seraient une meilleure alternative au produit disponible aujourd’hui. Les solutions de couverture sont encore limitées pour répondre aux besoins des entreprises algériennes.
Par ailleurs, contrairement aux pays voisins comme le Maroc ou la Tunisie avec des marchés de change un peu plus matures que le nôtre, il a été constaté que la plupart des entreprises exposées au risque de change utilisant le mécanisme de couverture « Forward » sont les PME, cela peut être expliqué par :
– Le fait que ces entreprises sont plus agiles où le centre de décision reste centralisé au niveau des gérants ainsi que leurs proximités avec les DAFs. Contrairement aux grandes entreprises ou bien multinationales, la couverture obéit à des restrictions groupe assez lourdes administrativement pour la prise de décision.
– La non disponibilité des ressources humaines qualifiées en la matière.
– La gestion du risque de change est perçue chez quelques entreprises, comme des coûts supplémentaires.
– D’autres ne s’estiment pas concernées car elles facturent uniquement en monnaie nationale ou bien passe par des centrales d’achats au niveau du groupe. La couverture se fait donc en Offshore.
Il est constaté, également, que le choix de l’instrument de couverture du risque de change est tributaire de divers facteurs. Outre les caractéristiques et la structure des opérations propres à chaque entreprise, les préférences et les avis des responsables jouent un rôle crucial quant à la prise de décision de se couvrir contre le risque de change. Enfin, la mise en place de l’instrument et son utilisation pendant l’exercice annuel devrait se dérouler dans le cadre d’un processus bien défini où les compétences sont clairement exigées.
(*) Mohamed HAICHOUR, MSc, EMBA.
Membre du club d’Alger du Centre Algérien
de Diplomatie Economique