Exclusif : Economie/Abderrahmane Benkhalfa à la Patrie News
L’Euro, l’informel et la situation économique de l’Algérie
Dans un entretien exclusif accordé à La Patrie News, Abderrahmane Benkhalfa, expert en finance et économie, envoyé spécial au sein de l’UA et ancien ministre des finances revient sur la valeur de l’Euro face au dinar, sur les prévisions de la parité entre les deux monnaies et sur la situation économique actuelle de l’Algérie.
La Patrie News : nous vous remercions, M. le ministre d’avoir accepté de répondre à nos questions, dont la première a trait à l’envolée actuelle de l’Euro, du moins sur le marché parallèle, face au dinar. Comment expliquez-vous cette envolée ?
M. Benkhalfa : le marché parallèle de la devise, qui est d’ailleurs un marché étendu sur de nombreux points du territoire national, des points invisibles, avec des techniques évoluées puisque, actuellement, les transactions se font à distance, tout cela constitue un dysfonctionnement de l’économie. Un dysfonctionnement dû pas seulement à des pratiques de blanchiment, mais à des procédures longues, c’est la conjonction de plusieurs facteurs mais le marché parallèle est un marché qui a une partie spéculative et une autre conjoncturelle. Cela veut dire que, dès qu’il y a des informations qui laissent prévoir une demande plus importante sur l’Euro, le prix augmente, avant même que la demande s’exprime. Il y a donc une anticipation comme cela se trouve dans tous les marchés, et cela s’est aggravé parce que c’est un marché spéculatif. Donc, dès qu’il y a eu des informations concernant la probable et prochaine réouverture des frontières, le prix de l’Euro a grimpé. En plus, il ne faut pas oublier que la demande qui sera exprimée ne sera pas seulement de la part des personnes qui vont passer quelques jours à l’étranger, pour une raison ou une autre, mais ce sera aussi pour des importations de ‘valises’, parce que la réouverture des frontières permettra aussi un flux de biens en plus de celui des personnes, beaucoup de biens arrivant par d’autres voies que ceux domiciliés officiellement. Ces informations enflamment donc à chaque fois l’Euro au niveau du marché parallèle. Le recul de l’Euro que nous avons connu jusque-là est un recul conjoncturel (confinement et fermeture des frontières à cause de la pandémie de covid19), non structurel, et dès que la conjoncture disparait, il reprendra sa place. Et maintenant, avec une autre conjoncture consistant en la réouverture des frontières et un flux plus important des personnes et des biens, l’Euro a repris sa montée. Nous sommes donc en face d’un marché installé et structuré qu’il faudrait combattre dans le temps avec des instruments à la fois financiers, juridiques et dans le temps car, tel qu’il est, il pose un double problème, le premier est celui de la valeur de la monnaie nationale et le deuxième pour la crédibilité du système bancaire.
La Patrie News : nous continuons dans le même sens, à combien estimez-vous la parité Euro/Dinar après la réouverture des frontières ?
M. Benkhalfa : cela fait longtemps que je le fais et je continue jusqu’à maintenant à plaider pour une étude approfondie sur les mécanismes du marché parallèle. Je considère qu’il est devenu tellement important, tellement élargi qu’il faudrait qu’il fasse l’objet d’une étude approfondie. Ceci nous permettra de déceler son offre, ses motivations, à quels facteurs répond l’influence de la parité, une étude qui doit être faite sur une période d’un an, un an et demi. Donc nous ne pouvons pas prévoir à quel degré sera la parité mais nous savons que c’est un marché spéculatif qui profite à pied-collé de la situation des flux au niveau des contrôles aux frontières, quand ces flux diminuent pour une raison ou une autre le marché recule et quand ils reprennent le marché reprend de la vigueur, d’autant plus que c’est aussi bien un marché pour les petites que pour les sommes moyennes. D’ailleurs, nous ne devons pas traiter le marché parallèle par des moyens juridiques ou administratifs uniquement, mais par des moyens économiques à la source car il n’est pas déconnecté du marché informel, ce qui fait qu’il faudrait traiter le phénomène dans sa globalité.
La Patrie News : quelle est la situation financière actuelle de l’Algérie, en quelques mots s’il vous plait ?
M. Benkhalfa : d’abord, il ne faut pas oublier que le monde entier connait une situation financière difficile en 2020 et ce sera aussi le cas en 2021 parce que la covid19, avec ses implications de confinement, moi j’appelle cela d’enfermement des économies. Elles sont toutes face à des problèmes financiers et l’Algérie est dans cette serre. Deuxième chose, nous avons connu deux années difficiles (2019 et 2020), 2019 était une année de transition politique et 2020, que nous vivons comme tout le monde ainsi que 2021, pendant laquelle nous serons toujours à proximité du covid19. Sur le plan purement économique, nous faisons face à un taux de croissance très faible qui va impacter le marché du travail et un budget de l’Etat avec un déficit important. Le budget 2021 préserve, il faut le reconnaitre, le pouvoir d’achat et prévoit des concours pour la sauvegarde d’un certain nombre d’entreprises, mais il faut en même temps, durant l’année 2021, que les chantiers des réformes s’engagent quelle que soit la situation et que les financements alternatifs au budget soient aussi engagés. Nous n’avons plus de répit pour mobiliser des financements de l’économie alternatifs, sur les plans interne et externe parce que le niveau de notre budget est devenu insoutenable. En 2020, nous sommes dans une situation complexe, problématique même, comme beaucoup de pays, mais nous avons une accumulation des déficits pour les années passées, malgré cela, la situation est contrôlable par rapport à d’autres pays, elle n’est pas ingérable mais elle est complexe et exige un autre mode de gouvernance et de financement de l’économie nationale.
Tahar Mansour