Grande militante en faveur des droits de l’Homme, notamment les détenus d’opinion sahraouis, dont fait partie son mari, le citoyen sahraoui Naâma Asfari, Claude Mangin a brusquement acquis une énorme célébrité planétaire lorsqu’elle a observé en 2018 une grève de la fin de trente et interminables jours pour bénéficier du droit de rendre visite à son mari, condamné à trente ans de prison à cause de ses opinions, et de son activisme pacifique en faveur de l’indépendance de son pays, le Sahara Occidental.
Dans l’entretien que voici, cette femme-courage revient avec nous sur l’affaire Soltana, l’inacceptable écart de Boniface, la complicité de la France, le conflit armé, l’attentisme de Biden…. A lire, à aire lire, et à partager absolument….
Entretien réalisé par Mohamed Abdoun
La Patrie News : On aimerait savoir, tout d’abord savoir comment se porte, votre mari qui croupit dans une prison marocaine à cause de ses opinions ?
Claude Mangin : mon mari se porte bien. Il garde le moral grâce à la philosophie. D’ailleurs, c’est lui qui me donne le courage de tenir. De me battre encore et toujours. Mon mari avait été visionnaire en écrivant un texte prémonitoire sur Gdeim Izik intitulé et El Guerguerat « le droit à la colère ».
On aimerait avoir de votre part une réaction à chaud concernant la terrible situation que subit avec sa famille depuis une centaine de jours la militante sahraouie Soltana Kheya….
J’ai lu votre interview. Et je l’ai même partagée aussi largement que possible. Pour revenir à votre question, hé bien, pour moi Soltana est le symbole même de la résistance de tout le peuple sahraoui. Ce peuple, pratiquement parlant, résiste bravement à la colonisation depuis 147 ans. Sa résistance contre l’occupation marocaine a connu plusieurs phases. Après la guerre à proprement parler, il y a eu le grand rassemblement de Gdeim Izik en 2010, depuis dix ans déjà. C’est la colère de tous les Sahraouis qui s’exprime ainsi.
Soltanarevendique très fort on besoin de liberté. Mais un pays comme le Maroc ne supporte pas que ces militants résistent, ou s’expriment même. Il leur dénie le droit d’exister. Tout politique coloniale se base sur le processus d’ « invisibilisation » du peuple colonisé.
Les colonisés n’existent pas. Ils sont rendus invisibles. On récupère la culture, la musique, les traditions en prétendant qu’ils sont marocains, à défaut de les folkloriser carrément. Soltana utilise tous les moyens pacifiques dont elle dispose pour résister, et continuer d’exister. Les pays coloniaux sont aussi des lâches.
Ils se servent de moyens violents et disproportionnés contre des populations pacifiques et non-violentes. C’est ce qu’a toujours été le peuple sahraoui. Depuis le cessez-le-feu de 1991, il n’y a pas eu un seul mort dans le cadre de la résistance du peuple sahraoui. C’est très important à souligner, et à mettre en avant.
C’est le seul cas, je pense, de lutte d’indépendance qui se fait sans attenants, sans violence, en dehors de la guerre bien sûr. Même aujourd’hui, d’ailleurs, l’armée sahraoui se garde scrupuleusement d’attaquer les civiles marocains.
Elle ne vise que les militaires présent sur ce mur honteux, et qui est l’exemple-même de cette occupation. Pendant ce temps, les forces d’occupation marocaines s’attaquent aux civils et aux femmes sahraouis.
Ce mur de sable est un symbole d’apartheid flagrant, et la manifestation de pacifique Gdeim Izik a fini par traduire le ras-le-bol des Sahraouis. Mais que faut-il faire pour que le Maroc daigne enfin respecter les droits de l’Homme dans les territoires occupés, à défaut de permettre au peuple sahraoui de décider librement et souverainement de son sort par voie référendaire ?
La seule possibilité, dans les pays démocratiques, est de s’adresser aux différents gouvernements, à commencer par ceux des pays qui siègent de façon permanente au niveau du conseil de sécurité de l’ONU. Tous ces pays sont largement responsables de ce statut-quo qui, pour le moment, n’a fait que préserver les intérêts de la colonisation marocaine. Ce que le Maroc appelle à tort « développement » représente bel et bien pillage des ressources de ce pays illégalement occupé.
Le peuple sahraoui continue de réclamer justice, avec le soutien des peuples européens, algériens et de la planète entière. Il est vrai, ce disant, que nous restons dépendant d’un droit international et humanitaire très clair, pourtant peu ou pas du tout appliqué sur le terrain alors qu’il a été parfaitement bien codifié en amont. Beaucoup de puissances internationales ignorent ces textes jusque-là.
Même si le peuple sahraoui est devenu ce grain de sable qui gêne tout le monde, les membres du conseil de sécurité refusent encore ostensiblement d’assumer leurs responsabilités. Le fait qu’ils n’aient pas encore désigné un représentant est pour moi tout simplement invraisemblable.
Oui, cet état de fait est inacceptable en effet. Mais les dirigeant du Polisario n’en finissent pas d’accuser directement la France, membre permanent du conseil de sécurité, de protéger le Maroc, de garantir son impunité et perpétuer ce statut-quo….
Oui. La France a toujours été la protectrice du sultan et de toute sa famille, mais pas du tout du peuple marocain. Pour moi, la France assume en effet cette lourde responsabilité. D’un autre côté, il y a cette division des tâches entre les Américains qui s’occupaient d’Israël et la France du Maroc. Les choses donnent l’air de vouloir évoluer pour le moment. Les Américains ont en effet brouillé les pistes. On attend de voir si la nouvelle administration américaine va imposer à la France de permettre enfin le règlement de la question du Sahara Occidental. En attendant, les Marocains font feu de tout bois.
Les huit minutes d’intervention de Pascal Boniface en sont le parfait témoignage. C’est vraiment scandaleux. Je trouve inacceptable qu’un vrai historien comme monsieur Boniface, puisse décrire de cette manière la situation au Sahara Occidental en recourant aux arguments développés par l’occupant marocain, sans jamais se référer au droit des peuples.
Oser prétendre qu’il s’agirait d’un conflit qui oppose l’Algérie au Maroc revient à déformer une histoire vieille d’au moins trente ans. Ce sont de grossiers mensonges, une tentative éhontée de réécrire l’histoire selon la convenance du Maroc.
On en déduit donc que le Maroc trahit surtout sa faiblesse. Aller chercher des gens pour débiter de grossiers mensonges est une preuve de faiblesse en effet. Ce n’est pas parce que monsieur Boniface débite exprès des mensonges aussi grossiers que la réalité du terrain, que tout le monde connaît depuis 30-45 ans va changer par le simple fait du prince.
Justement, on en est où avec ces faits accomplis contraires au droit international, notamment a déclaration de Trump sur la prétendue « marocanité du Sahara Occidental » ?
A mon avis, il faut laisser un peu plus de temps au nouveau président américain. Avec cette pandémie de coronavirus, Joe Biden doit certainement avoir d’autres priorités que le règlement urgent de la question du Sahara Occidental. En attendant, le silence de la France, me semble être très parlant.
Depuis e 13 novembre (date de rupture par le Maroc du cessez-le-feu conclu avec le front Polisario. NDLR), la France n’a pas dit un seul mot. Il s’agit peut-être d’un signe positif. Il n’y a pas eu un seul mot de soutien au Maroc de la part de la France. Elle n’a pas non plus surenchéri sur la déclaration de Trump.
Pendant ce temps, le conflit armé a repris alors que e Polisario refuse désormais de se faire avoir de nouveau. Même s’il doit retourner un jour à la table des négociations, ce sera arme au poing et doigt sur la gâchette, comme nous la récemment déclaré Mohamed Sidati….
Exactement. Le Polisario vient de s’engager dans ce qu’il qualifie de « nouveau format ». Si le Maroc prend un soin méticuleux à imposer un black-out total à la reprise de ce conflit armé, c’est qu’il aimerait bien que cette guerre n’existe pas, ni n’ait jamais existé. C’est l’ancien format, à savoir le statut-quo précédent, qui leur était totalement favorable. Ce nouveau format, le Maroc ne se l’est pas du tout approprié, tant s’en faut.
Il n’y a aucune déclaration de presse. Les Marocains ne sont pas non plus tenus au courant de ce qui se passe sur le terrain. Cela prouve que le Maroc a été pris de court par ce « nouveau format ». je pense que personne ne pensait que le Polisario, de guerre lasse, et gavé de fausses promesses, allait se résoudre à reprendre les armes pour défendre son droit légitime, ce qui lui revient de droit. Jusqu’à présent, le Polisario s’était résigné à se conformer scrupuleusement à sa signature apposée en bas de l’accord conclu avec le Maroc en 1991.
Le Polisario avait prévenu qu’il allait reprendre la guerre en cas de rupture du cessez-le-feu de la part du Maroc. Mais je pense que personne ne s’attendait à la fulgurante e déterminée réplique du Polisario. Mais, pour le moment, les Sahraouis ne s’attaquent pas aux civiles. Ils se contentent de pilonner les positions de l’armée marocaine. Cela ne semble donc pas gêner grand-monde.
Du coup, on est toujours face à un conflit de basse intensité. Mais, actuellement, le fait d’avoir réussi à frapper l’armée marocaine derrière le mur, et d’avoir tué trois soldats marocains peut avoir d’importantes conséquences sur la suite de l’évènement. Déjà, si le but premier recherché était e démoraliser l’armée d’occupation, il est pleinement atteint. Nous avons la preuve que l’armée sahraouie, même si elle fait encore preuve de retenue, peut frapper où elle veut et quand elle veut.
Comme on dit, à quelque chose malheur est bon. La reprise de ce conflit armé, a replacé la question sahraoui en tête des priorités des instances internationales, à commence par l’ONU et L’UA. N’est-ce pas là une bonne chose ?
Absolument. Mais, encore une fois, nous devons ce « nouveau format » à la témérité, à la détermination et au courage de tous ces jeunes sahraouis qui ont décidé un jour de bloque le passage au niveau d’El Guerguerat.
Mon mari a écrit de façon prémonitoire le 28 octobre sur la colère d’El Guerguerat pour ire qu’il s’agit de la même colère qui s’était exprimée il y a dix ans de cela à Gdeim Izik. C’est colère, somme toute prévisible, qui a donné naissance à ce « nouveau formant » face auquel le Maroc ne sait vraiment pas Quoi faire. Les puissances occidentales non plus. Aucune d’entre elle n’a bougé d’ailleurs. Ni dans un sens ni dans l’autre.
Vous avez parlé de « nouveau format ». Or il semble s’agir d’un format de non retour, qui semble confirmer leur slogan, répété par Soltana Kheya à l’occasion de l’entretien qu’elle nous avait accordé….
Exactement. Tous les jeunes sahraouis, qui se reconnaissent dans le front Polisario, sont résolus à se battre jusqu’à la mort. Tous les colonisateurs pensent que les colonisés n’ont pas de dignité, ni de personnalité ou de fierté. Ils n’existent tout simplement pas. Tout le monde a vu que le peuple sahraoui était capable de se rebiffer.
Nous avons vécu 18 longs et interminables mois. Depuis la démission de monsieur Horst Köhler, il ne s’est pratiquement rien passé. De toutes les façons, la question de la reprise des armes était sur l’agenda des trois derniers congrès du Polisario. Cette menace est brandie depuis quinze ans puisque ce congrès a lieu tous les cinq ans.
Le Polisario a fait montre de toute la retenue et de toute la bonne foi dont il était capable. L’affaire El Guerguerat a été la goutte qui a fait déborder le vase. Vous les Algériens êtes bien placés pour savoir que rien n’est jamais donné.
Tout doit être arraché, hélas, par la résistance et les sacrifices. Soltana Kheya fait partie de ces résistantes et résistants qui ont déjà donné beaucoup à leur cause. Je parle aussi de tous ces prisonniers qui croupissent dans les geôles marocaines, et grâce auxquels cette cause est demeurée vivace dans les cœurs et les mémoires de tout un chacun. Le peuple sahraoui n’a jamais cessé de se battre et se sacrifier. Le Maroc na jamais réussi à le faire taire, et à étouffer sa voix, qui porte partout dans le monde.
Que vous inspire le fait qu’Aminatou Haider ait été retenue dans la short list des personnalités susceptibles de recevoir le prix Nobel de la paix ?
C’est très bien, partant du constant qu’il n’est certainement pas facile d’arriver à ce niveau-là. Mais quand je vois que le nom du gendre de Trump figure aussi sur cette liste, franchement, j’en ai des frissons. Heureusement, elle n’en est pas responsable. Mais ça nous pousse à nous demander de quelle manière, et sur quelle base, les prix Nobel sont attribués. Je sais que son nom a circulé concernant l’octroi du prix Sakharov, mais elle ne l’a jamais eu. Ça doit pas mal « bredouiller » au sein de ces instances.
En tous cas, ça a fait parler d’elle, et c’est positif en soi. J’ai mené ma grève de la faim sans fléchir. Mais les colonialistes ne daignent pas vous regarder, ni admettre que vous existez , et encore moins satisfaire une revendication humaine et humanitaire, qui est celle de me laisser voir mon mari, arbitrairement, et illégalement empoisonné. Leur logique n’est pas la nôtre. Ils ne cherchent qu’à cacher, étouffer et effacer le colonisé. Mais c’est l’effet inverse qui est obtenu. Je suis plus déterminée et engagée que jamais. La crise sanitaire ralentie, mais dès que les vols reprendront, je retournerai à la charge.
La cour de cassation a confirmé la peine de 30 ans à l’encontre de mon mari. Je ne vais quand même pas attendre 20 ans pour retourner le voir. Qu’ils prennent a peine de réfléchir à ça deux minutes. On entamera de nouvelles actions dès qu’il sera enfin possible de voyager. On le fera ne serait-ce que pour les embêter, leur rappeler qu’on existe, et qu’ils ne peuvent pas nous ignorer et nous effacer éternellement.