Entretien accordé par Pr Ammar Belhimer au journal « Rencontre »
Pr Amùar Belhimer, ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement, s’est exprimé au journal « Rencontre ». Dans cet entretien, plusieurs sujets d’actualités ont été abordés.
Monsieur le ministre, à votre arrivée à la tête du secteur de la communication, vous aviez clairement affiché votre volonté de travailler avec l’ensemble des acteurs concernés pour, aviez-vous déclaré, lui « donner un nouveau souffle et trouver des solutions aux problèmes professionnels, matériels et organisationnels à même de lui permettre d’accomplir sa noble mission de diffusion de l’information objective et d’être au diapason des exigences de l’heure et des développements que connaît le pays ». Peut-on aujourd’hui établir un premier bilan de ce qui été fait en ce sens ?
La réalisation des résultats escomptés dans tout secteur nécessite un travail d’équipe, associant l’ensemble des acteurs. Le secteur de la Communication ne déroge pas à cette règle. Seules une mobilisation et une synergie des efforts pourraient conduire à un assainissement du secteur. Car il s’agit bien d’assainir une situation marquée par un cumule de problèmes, d’insuffisances, de manques et de manquements.
Toutefois, nous restons convaincus que c’est aux journalistes eux-mêmes d’assainir leur corporation des « intrus » et « affairistes » qui l’ont gangréné des années durant tant il est vrai qu’on ne fait pas le bonheur des gens malgré eux, comme dit l’adage.
La démarche a été, dès le départ, de solliciter des chantiers de reformes inclusifs et résilients.
Il est, dans ce contexte, important de préciser que notre plan d’action tient compte des changements et des mutations survenus dans le champ médiatique algérien.Ce dernier n’est plus le même que ceux des années 1980, 1990 ou comme au début des années 2000. Les changements qu’a connus la société algérienne, en transitant du parti unique au pluralisme, ont grandement influencé les modes de fabrication et de consommation de l’information.
Cela s’est traduit par le passage de quelques journaux et une télévision/radio publique, avant 1990, à plus d’une centaine de titres et autant de chaînes de télévision présentement. Sans compter les réseaux sociaux et les sites électroniques. Il est clair que l’arrivée des technologies de l’information et de la communication (TIC), moyennant Internet, a provoqué une « révolution » sur le marché mondial de l’information et par conséquent le national.
Pour revenir à « la volonté que j’avais affichée à mon arrivée », comme vous dites, sachez que cette volonté est collective et englobe l’ensemble del’appareil de l’Etat, à commencer par le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, lequel accorde une attention particulière au secteur de la Communication et œuvre à sa promotion.
Contrairement aux idées reçues, le journalisme, dont la mission première consiste à informer, est considéré dans le Projet de « L’Algérie Nouvelle » comme une lanterne éclairant à la fois l’opinion publique, et la prise de décision. Un témoin immuable. C’est pour cette raison, que tous nos programmes convergent vers un seul et unique sens : la professionnalisation en vue d’un exercice apaisé du métier, conciliant liberté et responsabilité.
Cela signifie une pratique du journalisme basée sur le respect de l’éthique, de la déontologie, du service public, de la vie privée des personnes, toutes les personnes.
D’autre part, notre plan de travail ambitionne de contribuer à l’amélioration des conditions socio-professionnelles des journalistes. Parmi les mesures prises, dans ce sens, figure l’obligation d’assurer la couverture sociale de l’ensemble des journalistes et travailleurs des médias souhaitant bénéficier de la publicité émanant du secteur public. C’est là une des quinze conditions transitoires visant la réorganisation de l’octroi de la publicité, rendues publiques au début de ce mois.
Ce nouveau souffle auquel vous faite référence concerne également les médias publics audiovisuels et écrits que vous exhortez à aller vers une profonde réorganisation. Ce défi ne semble-t-il pas difficile à réaliser pour des entreprises qui ont appris à compter sur un mode de fonctionnement infécond qui dure depuis des décennies ? Sur quelles bases pourrait alors se faire la rupture qui ouvrirait la voie à la transformation que vous prônez ?
Il est encore trop tôt pour parler de « nouveau souffle ». Ce qui est sûr c’est qu’en huit mois de travail, nous sommes parvenus, malgré les contraintes liées à la pandémie de la COVID-19, ayant paralysé la planète entière et causé la mort de plusieurs centaines de milliers d’êtres humains, à lancer un nombre de chantiers essentiels, justement, pour insuffler une dynamique, tant attendue, dans le secteur de la Communication.
Nous avons d’abord commencé à rencontrer les représentants des organisations syndicales de la corporation journalistique pour s’enquérir de leurs préoccupations et attentes.
Les rencontres avec les syndicalistes et hommes de médias se poursuivent dans le cadre d’un dialogue permanent établi entre le ministère et les professionnels du secteur, toutes activités confondues (presses écrite et électronique, l’audiovisuel…). Tous les jours de la semaine, hormis les vendredis, sont des jours de réception dans notre ministère. Nos portes demeureront ouvertes. Un médiateur a été installé pour une concertation permanente avec les sections syndicales existantes.
Sur le plan juridique, est en cours de préparation une loi sur la publicité, qui permettra de mettre fin au désordre régnant dans ce marché. Il est important de souligner sur ce point, que le projet de loi est en train d’être pensée avec la participation des acteurs du secteur.
Cependant, étant donné l’urgence de combler le vide juridique dans ce domaine, origine du désordre, nous avons élaboré un genre de cahier des charges comprenant quinze (15) conditions transitoires pour bénéficier de la publicité publique.
Le document en question a été présenté lundi dernier, aux responsables des médias lors d’une rencontre tenue au siège de l’APS, au terme de laquelle un débat franc et direct avait permis aux différents intervenants de donner leurs avis et de faire des recommandations, dont nous avons tenu compte.
Il y aussi un autre chantier juridique, tout aussi important, que nous avions entrepris dans le but de réguler une activité journalistique en plein essor dans notre pays : la presse électronique qui fera incessamment l’objet d’un décret exécutif.
Concernant la réorganisation des médias publics, l’honnêteté veut que nous reconnaissions à ces derniers leurs expériences. Qualifié leur mode de fonctionnement d’ « infécond » est un jugement infondé. Ces organes publics, dont la création remonte aux premières années de l’indépendance de l’Algérie voire avant comme c’est le cas de l’APS (1961 à Tunis), ont joué un rôle important durant ces années-là où tout était à faire après le départ des colons.
Il fallait les trouver ces techniciens et journalistes algériens capables de faire tourner la télévision et la radio (RTA) de l’Algérie indépendante. Donc oublier tous ces efforts et bien d’autres, relève de l’ingratitude.
Notre démarche consiste donc à moderniser la gestion de ces médias publics et la normaliser. Cela se fera, d’abord, par le bon choix des gestionnaires, qui seront à même de réduire la dépendance de leur entreprise aux subventions de l’Etat, en proposant des produits médiatiques compétitif et attractifs aux yeux d’un consommateur algérien de plus en plus exigeant.
Il est question aussi de veiller à améliorer la qualité du recrutement par ces médias publics, condition sine qua none pour préparer une bonne relève, en donnant la chance, via des concours, à tous les Algériens ayant les compétences requises.
La formation des journalistes et des travailleurs de ces médias constituera aussi un moyen efficace pour parvenir à réaliser cette « transformation » comme vous la qualifiez, et hisser la qualité de leur rendement.
Comme première étape, les médias publics feront l’objet d’audits pour établir un état des lieux. Les résultats de ces audits seront traduits en feuille de route menant vers leur modernisation. Nous irons même vers des assises s’il le faut pour avancer ensemble vers cette modernisation.
Il y a quelques semaines, vous avez annoncé la réactivation du Fonds d’aide à la presse. Une décision qui a été prise par le Premier ministre à votre demande. Lorsque les acteurs du secteur évoquent ce fonds, ils rappellent quasi systématiquement qu’il avait fonctionné par le passé avant d’être gelé en 2015. Or les journalistes vous diront que bien que partie concernée, ils n’avaient jamais senti la moindre odeur de cette aide dans les rédactions : ni en matière de conditions de travail, ni en matière de formation et d’épanouissement dans l’exercice de leur métier. Qu’est-ce qui n’aurait pas marché, selon vous qui connaissez de très près ce métier ?
La création de ce Fonds spécial est un acquis que nous comptons pérenniser. Il sera bel et bien relancé prochainement. Mieux encore, le cadre juridique de cet important instrument, dont la vocation est la promotion de la formation et l’amélioration du niveau des journalistes, sera actualisé.
De nouveaux mécanismes juridiques seront ajoutés à ce dispositif pour permettre de renforcer les capacités de son alimentation et éviter son tarissement, même en temps de crise.
Nous saisissons cette opportunité pour réitérer notre attachement à la promotion de la formation pour une presse professionnelle dans le sens propre du mot. Former un journaliste est bénéfique pour tous. Pour sa propre personne (car il maîtrisera mieux son métier), pour le média qui l’emploie (proposer un produit compétitif) et pour l’opinion publique (une consommation de qualité).
Il est utile de rappeler que la formation figure parmi les priorités de notre plan d’action. Nous travaillons sur la constitution de clusters de formateurs locaux, connaissant les spécificités, les besoins, les lacunes et les enjeux de la presse. Ils sont les mieux indiqués pour encadrer nos journalistes dans différents médias.
Il est, en outre impératif d’encourager la coopération féconde et mutuellement bénéfique entre médias et universités afin de hisser le niveau des journalistes. Cette promiscuité constituera également une ouverture aux enseignants universitaires pour mieux connaitre le monde de la presse.
Les universités et instituts spécialisés gagneraient, par ailleurs, à contracter des journalistes expérimentés et de terrain, en vue d’encadrer leurs étudiants dans le volet pratique.
Dans votre démarche, vous accordez également une grande importance aux médias électroniques. Ces derniers gagnent, certes, de plus en plus d’espace sur la scène médiatique, mais vous considérez que leur évolution se fait souvent dans un vide juridique. Qu’en sera-t-il à l’avenir ?
Comme je l’ai souligné précédemment, la presse électronique est la plus consommée actuellement, après les produits audiovisuels ou au même niveau. C’est le présent et l’avenir à la fois. Cela n’est pas propre à l’Algérie seulement. C’est un phénomène universel engendré par l’élargissement de l’utilisation de l’Internet. L’invention des PC, Smartphone, tablettes et autres supports a fait le reste. Une des spécificités de la mondialisation.
Il ne faut pas perdre de vue que la presse papier est en voie de disparition. Elle cède quotidiennement le terrain devant l’électronique.
Les raisons sont surtout d’ordres économique et environnemental. Il coûte moins cher de lire son journal en version PDF sur son PC ou Smartphone. C’est aussi plus propre que la version papier, car la fabrication de ce dernier est extrêmement polluante et très contestée par les lobbies écologistes soucieux de la protection des forêts.
Au risque de me répéter, le futur décret exécutif sur la presse électronique permettra une amélioration de cette activité en Algérie et son développement. Il permettra aussi à mettre fin aux nombreuses pratiques anti-professionnelles recensées dans ce domaine, et qui nuisent à la corporation et à ses acteurs.
Par ailleurs, la pénalisation des discours de haine pour inclure les dépassements sur les réseaux sociaux en tant qu’actes punis par la loi, est d’ores et déjà en vigueur. Elle vise à régir l’information alternative dite « journalisme citoyen».
Il est primordial, dans tous les cas, de tenir compte des droits d’autrui à la vie privée, à l’image et à la protection contre toutes formes de diffamation, d’outrage et d’insulte.
Dans votre dernier entretien accordé à l’APS, vous êtes revenu sur l’Autorité de régulation de la presse écrite (ARPE) et la mission dont sera chargé cet organe au profit de la pluralité de l’information. Peut-on revenir sur le contenu détaillé de cette mission ?
Au fait, les missions de l’autorité de régulation de la presse écrite sont définies dans le Code de l’information de 2012.Ce dernier dispose que cette autorité de régulation de la presse écrite, “autorité indépendante, jouissant de la personnalité morale et de l’autonomie financière”, sera chargée notamment “d’encourager la pluralité de l’information, de veiller à la diffusion et à la distribution de l’information écrite à travers tout le territoire national”.
Ses missions consistent également à “veiller à la qualité des messages médiatiques, ainsi qu’à la promotion et la mise en exergue de la culture nationale dans tous ses aspects ».
Il s’agit aussi de « veiller à l’encouragement et à la consolidation de la publication et de la diffusion dans les deux langues nationales par tous les moyens appropriés, ainsi qu’à la transparence des règles économiques de fonctionnement des entreprises éditrices”.
Cependant, nous estimons qu’il est nécessaire d’appeler cette autorité de régulation par un « Conseil national de la presse », lequel fonctionnera comme une instance d’auto-régulation à l’intérieur de la sphère médiatique.
Le fonctionnement de ce conseil reposera sur des sous-organismes dédiés aux règles d’éthique, d’arbitrage et au règlement lié à la distribution de la carte professionnelle.
Les pouvoirs publics envisageraient-ils de créer une chaîne de télévision d’informations en continu visant à soigner l’image de marque du pays à l’international, à l’instar des gouvernements russe, américain, français, britannique…qui contrôlent respectivement RT, Voice of America, France24, BBC… ?
La plupart de nos chaînes de télévision sont satellitaires et peuvent donc être captées à l’étranger. Une chaîne comme « Canal Algérie », à titre d’exemple, est très regardée et appréciée à travers le monde. D’autres chaînes privées le sont tout autant.
Afin de mettre de l’ordre dans le marché de l’audiovisuel, nous réitérons notre appel aux chaînes privées offshores pour entamer la domiciliation, le rapatriement, juridique et technologique de leur activité.
La migration de ces chaînes vers le satellite algérien « Alcomsat-1 » permettra un amortissement des coûts d’investissement et un accroissement de la rentabilité.
Au fait, c’est la permissivité qui avait permis à ces chaînes de voir le jour en tant que « bureaux étrangers »ne dépassant pas les neuf (9) travailleurs, à un moment historique où il fallait répondre dans l’urgence aux agressions des vecteurs des « régime change » et autres canaux d’ingérence et de subversion.
Disons que l’instrumentation juridique n’avait pas suivi le besoin, légitime, de riposte.
La carte nationale de journaliste établie en 2014, en plus du fait qu’elle fut provisoire et distribuée d’une manière anarchique, est arrivée à expiration. N’est-il pas temps d’établir une nouvelle carte dont les conditions d’attribution devront être draconiennes, c’est-à-dire que seul le journaliste professionnel y aura droit ?
Je tiens à vous remercier de m’avoir donné l’occasion de revenir sur le sujet de la carte professionnelle et son importance.
D’abord, il faut faire la différence entre la carte professionnelle délivrée par l’employeur, permettant à tout journaliste de décliner son identité et sa profession lors des couvertures médiatiques, et celle délivrée par une commission installée, à cet effet, en 2016 – laquelle a fait l’objet de critiques parfois justifiées attestant de sa délivrance à des titulaires exerçant d’autres métiers que celui de journaliste.
Toutes les professions (médecins, avocats, fonctionnaires…) ont une carte ou un badge professionnel. Pourquoi pas la nôtre ?
Par conséquent et selon la réglementation en vigueur l’employeur doit délivrer une carte professionnelle attestant de l’appartenance du journaliste à son organe.
C’est pour ces raisons, que la délivrance de la carte, outre celle établie par l’employeur, fera partie des missions du futur « Conseil national de la presse ».