l’immigration de travail à la carte de séjour
Compétences et talents
Par Maître Serge PAUTOT, ancien coopérant, docteur en droit, avocat au barreau de Marseille, auteur de l’ouvrage France Algérie- du côté des deux rives.
Les études sur les personnes étrangères, les travailleurs immigrés et la législation nationale applicable en France sont de plus en plus concurrencées par les sources de droit internationales et conventions. On le constate avec l’arrivée de réfugiés venant des pays de la Méditerranée en Europe et aussi des accords bilatéraux signés entre les pays, tel l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968, présenté dans El Djazair.com n° 129 de décembre 2019. Les règles applicables aux travailleurs immigrés font régulièrement l’objet de débats, rapports. Justement, un « Rapport d’information sur l’évaluation des couts et bénéfices de l’immigration en matière économique et sociale » a été rendu public le 22 janvier 2020. Il a été rédigé par les députés Mme Stéphanie Do et Pierre-Henri Dumont. Rendu public, voici la présentation de certaines de leurs conclusions propres à éclairer sur la situation des travailleurs immigrés en France.
Plus de 800 000 immigrés algériens vivent en France
La France compte 4,1 millions d’immigrés de nationalités étrangères dont plus de 807 500 Algériens selon les plus récentes statistiques publiées par l’Insee, alors qu’un débat vient d’avoir lieu sur la question de l’immigration à l’Assemblée nationale française, à la demande du président français Emmanuel Macron.
Outre les 4,1 millions d’immigrés étrangers, l’Institut national de statistiques (Insee) recense également 2,4 millions d’immigrés ayant acquis la nationalité française. Au total, ces 6,5 millions constituant la population immigrée en France constitue 9,7% de la population française totale estimée à 67 millions d’habitants en 2016. Aux 4,1 millions d’immigrés de nationalité étrangère s’ajoutent également 700 000 personnes nées en France mais de nationalité étrangère.
Les 807 500 Algériens représentent le plus gros contingent d’immigrés en France, devant les Marocains (755 400) et les Portugais (622 000). 275 900 immigrés sont, quant à eux, de nationalité tunisienne, précise la même source. 286 400 sont Italiens, 248 000 sont Espagnols, et 246 900 sont Turcs.
En 2018, la France a accordé 255 956 titres de séjour, mais le rythme de cette progression s’est nettement ralenti l’an dernier après trois années consécutives d’accélération. En 2017, le nombre de titres a été de 7,4 %. En 2018, il ne s’est accru que de 3,4 %.
Plus d’un tiers de ces titres de séjour (35,2 %) ont été accordés pour des motifs familiaux. Un autre tiers (32,5 %) concerne les étudiants. Le reste se répartit principalement entre l’immigration humanitaire (13,3 %) et économique (13,1 %), indique le média français Les Echos. Le regroupement familial a fait l’objet de 11.282 titres de séjour en 2018, mais ne représente que 12 % de titres de séjour accordés pour motifs familiaux, précise la même source.
« Il nous faut, s’agissant de l’immigration professionnelle, avoir une approche pragmatique en relation avec nos besoins de main-d’œuvre », a estimé récemment le Premier ministre français Edouard Philippe lors de son discours prononcé à l’ouverture du débat sur la question de l’immigration à l’Assemblée nationale.
Un état d’esprit auquel a fait écho son Premier ministre dans son discours : « S’il fallait, je dis bien s’il fallait, piloter par objectif quantitatif notre immigration en matière professionnelle, il faudrait encore s’interroger sur l’intérêt de quotas par nationalité ou par secteur professionnel ». Mais au-delà de ce débat politique, présentant certaines dispositions de ce Rapport parlementaire.
Qu’est‑ce qu’un immigré ?
Les rapporteurs commencent tout d’abord par la définition française de l’immigré. Elle est différente de la définition retenue par le cadre statistique international. Pour le Haut conseil à l’intégration (HCI), « un immigré est une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France ». L’INSEE retient donc cette dernière définition, au contraire d’Eurostat et de l’OCDE (Office de coopération et de développement économique), qui recourent à une définition plus large : « Toute personne née à l’étranger, quelle que soit sa nationalité à la naissance, est considérée comme immigrée ».
La population totale vivant en France se compose, selon l’INSEE, de 66,9 millions de personnes, dont 92,9 % de Français et 7,1 % d’étrangers (4,7 millions de personnes). Le groupe des « immigrés », quant à lui, est constitué de personnes nées étrangères hors de France, qui soit sont restées étrangères (4 millions), soit ont acquis la nationalité française (2,4 millions).
Dans le cas de la France, la population immigrée a été principalement alimentée par des flux en provenance d’Europe du Sud avant et après la Seconde Guerre mondiale, puis d’Afrique du Nord à partir des années 1950 et 1960. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’immigration est favorisée par le manque de travailleurs nationaux pouvant participer à l’effort de reconstruction. Il en va de même tout au long des « Trente glorieuses ». À partir du milieu des années 1970, au contraire et principalement du fait de la crise économique, des mesures restrictives sont mises en œuvre afin de décourager l’immigration de travail alors que les immigrés précédemment arrivés continuent de bénéficier du regroupement familial.
Les experts entendus par les rapporteurs ont souligné la forte concentration géographique des immigrés dans quelques régions (58 % d’entre eux vivant dans les régions Provence‑Alpes‑Côte d’Azur, Auvergne‑Rhône‑Alpes et Île‑de‑France, dont 38 % dans cette seule dernière région), et parfois dans des bassins d’emploi qui ne sont pas les plus dynamiques.
Le choix de localisation des immigrés en France est déterminé par trois grands facteurs : l’emploi, la présence d’une diaspora ou de réseaux ethniques qui permettront l’entraide, et enfin et surtout, le logement.
L’exemple de l’Île‑de‑France est particulièrement marquant. En 2018, moins de la moitié (49 %) des enfants nés dans cette région (85 075 enfants sur un total de 174 439 naissances) avaient leurs deux parents nés en France, tandis que 51 % d’entre eux (89 364 enfants) avaient au moins un de leurs deux parents nés à l’étranger ; pour 30 % (52 354 enfants), il s’agissait même de leurs deux parents qui étaient nés à l’étranger.
Des origines encore marquées par l’histoire, comme le relève les auteurs qui ont fait également référence à un autre rapport, celui de France Stratégie, intitulé « L’impact de l’immigration sur le marché du travail, les finances publiques et la croissance ». Ce sont les immigrés originaires d’Afrique qui représentent la proportion la plus importante parmi les immigrés en France, leur nombre s’élevant à 3 millions d’individus (soit 46,1 %). Par ailleurs, 2,2 millions d’individus nés (non français) en Europe vivaient en France, soit 33,5 % des immigrés. Enfin, les immigrés originaires d’Asie et d’Amérique‑Océanie, dont l’effectif total s’élevait à 1,3 million d’individus, représentent un cinquième du total (avec respectivement 14,5 % et 6 %).
Une proportion importante d’immigrés non qualifiés
Le rapport indique que le niveau d’éducation des immigrés en France est fortement lié au type d’immigration qui a été privilégié : immigration familiale, plutôt qu’économique ou de travail. L’immigration pour motifs familiaux, qui représentait 43 % des admissions entre 2010 et 2016, a laissé peu de place pour l’immigration de travail, sans parler de l’immigration de travail qualifiée mais le traitement statistique de l’immigration est difficile. Les données administratives proviennent essentiellement du ministère de l’Intérieur chargé de la délivrance des titres de séjour, et des deux opérateurs que sont l’Office français pour la protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) qui gère les dossiers relatifs aux demandes d’asile, et l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) qui gère notamment l’accueil des primo‑arrivants et des demandeurs d’asile.
Mais les données susceptibles de révéler « directement ou indirectement les origines raciales ou ethniques » des immigrés restent interdites sauf exceptions selon la loi française. En effet l’origine représente une donnée sensible et, à ce titre, fait l’objet d’une protection particulière. Plus précisément, ce sont les données susceptibles de révéler « directement ou indirectement les origines raciales ou ethniques » qui sont considérées par la CNIL comme des « données sensibles » au sens de l’article 8 de la loi Informatique et libertés et donc interdites.
Au sens de l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée en 2004 sont considérées comme sensibles et faisant donc l’objet d’une protection particulière « les données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles‑ci ». Il est donc difficile de connaitre la population immigrée à moins de changer la loi française.
Lors d’une audition, un expert entendu par les rapporteurs, a relevé que, pour des raisons historiques et juridiques, la France s’était placée dans la situation d’accueillir une proportion d’immigrants non qualifiés plus forte que celle des autres pays. Les a priori négatifs des Français s’en sont trouvés confortés, suscitant des craintes et des demandes en faveur de politiques d’immigration restrictives. La France s’est ainsi enfermée dans un cercle vicieux « en refusant l’immigration de travail puis l’immigration sélective, pour ne recourir quasi exclusivement qu’au regroupement familial » où « faible quantité, faible qualification et faible diversité de son immigration se renforcent mutuellement ».
Cette politique a empêché la France de recevoir les bénéfices économiques que pourrait lui procurer une immigration plus nombreuse, sélectionnée davantage en fonction de l’éducation et des qualifications, et originaire d’un espace géographique plus large et plus diversifié que l’ancien « champ » colonial.
« Il faut donc repenser l’immigration comme une contribution positive, en accueillant des immigrés qualifiés (notamment) en plus grand nombre et renforcer la diversité des origines. Dans un contexte de mondialisation de l’économie, les populations immigrées favorisent les échanges commerciaux, les flux de capitaux et les investissements directs de l’étranger ; ainsi que la transmission de savoir des populations étrangères, quel que soit le niveau de qualification de l’activité considérée… Pour ce qui est des flux récents, la contribution des immigrés à l’accroissement du stock de travailleurs qualifiés n’a été que de 3,5 % en France, contre plus de 10 % au Royaume‑Uni, en Australie ou au Canada et près de 7 % aux États‑Unis ou en Suède. » Plusieurs études économiques concluent également à la diversité des immigrés comme source de productivité et de croissance.
En France, 46 % des immigrés sont nés en Afrique (dont 29 % au Maghreb), 33,5 % sont nés en Europe et 14,5 % en Asie. Cette politique publique, longtemps focalisée sur le respect des droits individuels en matière de regroupement familial et de droit d’asile, a eu tendance à renforcer la faible qualification et la faible diversification géographique des immigrés. Ces caractéristiques ont elles‑mêmes compliqué l’intégration professionnelle de cette population et celle de la deuxième génération. Ceci a conduit la France à se priver des avantages économiques que pourrait lui procurer une immigration de travail plus dynamique et plus ciblée vers les hauts potentiels, concluent les rapporteurs.
Recruter un travailleur immigré : un parcours complexe et aléatoire
La demande provient généralement d’une entreprise et non du candidat lui‑même et de nombreux acteurs sont engagés dans la procédure en vigueur :
– le service de la main‑d’œuvre étrangère (SMOE) instruit les demandes en vérifiant qu’elles satisfont à certaines conditions dont l’adéquation de l’emploi avec la qualification et l’expérience du travailleur et le respect par l’employeur de la législation et des conditions d’emploi et de rémunération ;
– Pôle emploi teste le marché du travail pour les métiers ne relevant pas de la liste des métiers en tension en vérifiant si le poste demandé ne peut être pourvu par un résident ;
– l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration), auquel l’employeur paie une taxe, convoque le travailleur pour une visite médicale ;
– le consulat français délivre, en dernière instance, le visa au travailleur.
Mais il faut savoir que la première demande d’autorisation de travail pour un titre de salarié est soumise à « l’opposabilité de l’emploi ». Le constat porté par plusieurs experts entendus par les rapporteurs est très négatif. Le dispositif est lourd et complexe ; il privilégie de fait les grandes entreprises qui disposent de suffisamment d’informations et de ressources humaines pour engager la procédure, alors qu’au contraire sa complexité et ses aléas décourageraient fortement les PME. Les nombreuses demandes présentées dans le SMOE des Hauts‑de‑Seine, par exemple, où sont présents des sièges sociaux de grandes entreprises, sont une illustration de cette concentration du dispositif.
L’OCDE constate de fortes variations de pratiques et de décisions d’un département à l’autre, ce qui confirme l’existence d’inégalités de traitement des demandes sur le territoire.
Les catégories de titres restent nombreuses, parmi lesquelles trois titres économiques délivrés après autorisation de travail du SMOE :
– le titre « salarié » (contrat de travail d’un an ou plus) ;
– le titre « travailleur temporaire » (contrat de moins d’un an)
– et la carte triennale « saisonnier ».
Les deux premiers titres sont soumis à l’examen préalable de la situation de l’emploi. Mais nous savons que pour les Algériens un accord spécifique prévoit des dispositions particulières notamment le contrat de dix ans.
Les auteurs du rapport présentent l’adaptation des « quotas » ou objectifs quantitatifs au système français. Le Comité interministériel sur l’immigration et l’intégration du 6 novembre 2019 a confirmé l’instauration de « cibles quantitatives ou quotas pour le recrutement de travailleurs étrangers dans des secteurs d’activité définis ». Ces objectifs chiffrés, qui ne seront pas limitatifs, seront définis chaque année, secteur par secteur et de manière territorialisée, sur la base du nouvel indicateur statistique appréciant les tensions sur le marché du travail français, et visant à combler les besoins de recrutement des entreprises.
Ces « cibles » ou « quotas » seront débattus dans le cadre du débat annuel au Parlement sur les orientations de la politique d’immigration dès 2020. Une fois définis, les métiers‑types ou secteurs d’activités prioritaires seront inscrits sur la liste des métiers en tension (donnant lieu à la délivrance d’une autorisation de travail sans examen préalable de la situation de l’emploi) qui fera l’objet d’une révision annuelle. Les quotas ou objectifs chiffrés seront notifiés aux consulats et préfectures pour guider la politique de délivrance des visas et titres de séjour.
En pratique, l’admission au séjour serait ainsi facilitée pour les étrangers entrants au titre de l’immigration professionnelle dont le métier ou le secteur d’activité ferait l’objet d’un quota, ce qui soulève un certain nombre de difficultés.
Améliorer l’insertion professionnelles des personnes immigrées
Ces constats permettent de dégager trois leviers essentiels pour améliorer l’insertion professionnelle des immigrés en France :
– la promotion et la protection du travail des femmes migrantes,
– l’amélioration de l’accès à la reconnaissance des diplômes et à la formation,
– ainsi que la lutte contre les discriminations.
L’objectif d’intégration des étrangers par l’emploi s’organise aujourd’hui essentiellement en France autour de la mise en œuvre d’un parcours d’orientation et d’insertion professionnelle destiné aux primo‑arrivants issus de pays tiers dans le cadre du Contrat d’intégration républicaine (CIR) réformé au 1er mars 2019. Ces réformes inspirées notamment par le rapport d’Aurélien Taché, sont à conforter pour aboutir à des parcours d’insertion fluides et sans rupture, au‑delà du seul CIR, et adaptés aux différents publics – réfugiés mais aussi immigrés issus de l’immigration familiale ou de travail.
Lutter contre les discriminations dans le parcours professionnel est aussi un objectif. Les obstacles relatifs au défaut de reconnaissance des qualifications et de l’expérience ne devraient toutefois pas perdurer pour les enfants d’immigrés élevés et éduqués en France. Or, si les difficultés d’accès à l’emploi sont plus faibles pour leurs descendants que pour les immigrés eux‑mêmes, elles demeurent à des niveaux élevés, notamment pour les hommes originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne.
Ces immigrés et descendants d’immigrés connaissent en effet les situations professionnelles les plus défavorables, avec un risque plus élevé de chômage, des emplois plus précaires et moins bien rémunérés. Leurs taux de chômage excèdent de 10 à 20 points celui des personnes sans ascendance migratoire et lorsqu’ils sont en emploi, les salariés les plus qualifiés semblent confrontés à un « plafond de verre » qui rend difficile l’accès à des salaires élevés.
Des efforts ont été par ailleurs déployés en ce sens par la mise en place, en 2019, de comités de pilotage « intégration des étrangers » réunissant les acteurs de l’intégration des étrangers sur chaque territoire notamment les Directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS), les directions territoriales de l’OFII, le SPE (dont Pôle emploi), les partenaires associatifs, les acteurs privés du monde économique… Leur mise en place récente ne permet pas encore d’évaluer leur efficacité pour assurer des parcours d’intégration coordonnés et sans rupture à l’ensemble des primo‑arrivants à l’issue du CIR.
Le passeport « talent » pour les plus qualifiés
La France est plus attractive pour les étudiants et les chercheurs que pour les entrepreneurs et les salariés hautement qualifiés. La France se distingue également dans l’accueil des chercheurs étrangers tant dans le secteur public que privé. Les conditions d’admission leur sont notamment facilitées par la fixation d’un seuil de salaire peu restrictif, et l’habilitation de la plupart des organismes de recherche publique et des établissements d’enseignement supérieur à signer des conventions d’accueil. La France est ainsi le pays de l’UE qui délivre le plus de titres de séjour dédiés aux chercheurs. Parmi les « passeports talent » délivrés en 2017 et en 2018, plus de la moitié concerne des titres « scientifiques », soit respectivement 3 977 et 4 660 titres, un nombre par ailleurs en hausse par rapport aux statistiques de délivrances de l’ancienne carte « carte scientifique‑chercheur » (moins de 3 000 par an sur la période 2008‑2015).
Il faut donc maintenir l’attractivité de la France auprès des étudiants étrangers. Depuis la loi n° 2016‑274 du 7 mars 2016 relative aux droits des étrangers qui a notamment introduit le « passeport talent », des progrès sensibles ont été réalisés pour faciliter le parcours administratif d’un travailleur étranger très qualifié.
Le dispositif est globalement attractif. La procédure d’obtention est plus simple et plus rapide : en l’absence de test du marché du travail (l’autorisation de travail n’est pas nécessaire et la situation de l’emploi n’est pas opposable), les dossiers ne passent plus par la procédure en SMOE, mais directement dans les consulats (pour les introductions) ou les préfectures (pour les changements de statut) avec la mise en place de coupe‑files. Le « passeport talent » offre par ailleurs des avantages compétitifs en comparaison européenne en vue d’une installation pérenne : c’est un titre pluriannuel, délivré dès la première admission au séjour pour une durée maximale de 4 ans, et qui offre aux membres de la famille, un accès de plein droit à une carte pluriannuelle donnant accès au marché du travail.
Il est accessible à des publics variés notamment les étrangers ayant précédemment obtenu un diplôme de master en France qui ont la possibilité de revenir en France pour un emploi rémunéré à hauteur de deux fois le SMIC ou encore les étrangers entrepreneurs ou investisseurs très qualifiés ou innovants avec des seuils d’investissement abaissés (étrangers qualifiés ayant un projet de création d’entreprise, étrangers « justifiant d’un projet économique innovant », investisseurs, et dirigeants d’entreprises). Depuis le 1er mars 2019, en application de la loi n° 2018‑778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, le dispositif a été élargi aux diplômés d’universités étrangères et aux entreprises reconnues comme innovantes par le biais du dispositif French Tech Visa.
Depuis la mise en place du « passeport talent » au 1er novembre 2016, les chiffres de délivrances effectives sont légèrement supérieurs à ces estimations et tendanciellement en hausse : 6 894 premiers « passeports talent » ont été délivrés en 2017 ; 8 375 en 2018 et 8 807 en 2019 selon les chiffres provisoires, ce qui confirme la lisibilité et l’attractivité du dispositif. La France continue d’attirer prioritairement des chercheurs (qui représentent plus de la moitié des « passeports talent »), et dans une moindre mesure, des salariés qualifiés (16 % de l’ensemble des titres salariés délivrés en 2018) et des actifs non‑salariés (653 en 2018). Si la tendance est positive, le dispositif n’a pas introduit de transformations décisives dans l’ampleur des flux de mobilité et le type de bénéficiaires.
343 400 étudiants étrangers se sont inscrits en 2017‑2018 dans un établissement d’enseignement supérieur français soit 12,8 % des étudiants en France ; ce qui positionne la France au rang de 4e pays d’accueil des étudiants étrangers derrière les États‑Unis, le Royaume‑Uni et l’Australie. La France est ainsi le premier pays d’accueil non‑anglophone pour les étudiants internationaux. Toutefois, la mobilité vers la France a progressé moins vite qu’ailleurs : entre 2012 et 2016, alors que la mobilité étudiante internationale a augmenté de 28 %, la mobilité vers la France n’a crû que de 19 %, ce qui pose un certain nombre de défis à venir pour maintenir l’attractivité de l’offre française.
Contre ce risque de décrochage, le Comité interministériel à l’intégration et l’immigration du 6 novembre 2019 a annoncé l’objectif de porter le nombre d’étudiants étrangers en France à 500 000 à l’horizon 2027 par la mise en œuvre du plan « Bienvenue en France » à la rentrée 2019‑2020. Cependant, notent les rapporteurs, la longueur de la procédure administrative ainsi que la méconnaissance de ses règles dans la communauté étudiante et parmi les employeurs de PME freinent l’accès à l’emploi des anciens étudiants étrangers.
Les immigrés en situation irrégulière
Les immigrés en situation irrégulière sont les étrangers n’ayant aucun titre de séjour en cours de validité, ce qui les prive a priori d’un droit au travail. Il s’agit souvent d’étrangers ayant pénétré sur le territoire grâce à un visa de tourisme, restés après l’expiration de leur visa, ou de déboutés de la demande d’asile, parfois encore de personnes ayant franchi nos frontières clandestinement.
Le nombre des admissions exceptionnelles au séjour (régularisations par les préfets pour motif humanitaire ou exceptionnel au titre de l’article L. 313‑14 du CESEDA) ne donne guère plus d’informations. Il oscille entre 30 000 et 35 000 par an depuis 2013 et ne peut permettre d’identifier une tendance ou une quotité de la population éligible d’autant que le ministère de l’Intérieur ne recense pas les demandes. Les rapporteurs ont en effet été étonnés d’apprendre que la procédure d’enregistrement des demandes de régularisation n’était pas normalisée au niveau national. Certaines préfectures acceptent des dossiers incomplets qu’il faut compléter au fil de l’eau, ce qui génère des pertes de temps et empêche une comptabilité rigoureuse des procédures en cours de traitement.
Beaucoup d’immigrants légalement entrés prolongent leur séjour sur le territoire national à l’expiration de leur visa ou de leur titre de séjour et deviennent alors irréguliers. La mise en place d’un système de contrôle des entrées et des sorties aux frontières extérieures de l’Union européenne, dit système ESS, prévu à l’horizon 2022 en application du règlement 2017/2226 du 30 novembre 2017, devrait permettre d’enregistrer les données d’entrée, de sortie et de refus de sortie de tous les ressortissants des pays tiers, qu’ils soient soumis ou non à l’obligation de visa. Ce système reposant sur un dossier individuel composé des données biographiques, des données du document de voyage et des données biométriques, devrait permettre de détecter en temps réel les personnes ayant dépassé le temps de séjour autorisé. Il devrait donc permettre de progresser significativement dans la connaissance de ce segment important de l’immigration irrégulière, conformément au système déjà mis en place par un certain nombre de pays de l’OCDE (Corée, Australie…).
Serge PAUTOT
Source : Rapport d’information n°2615 déposé par le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques le 22 janvier 2020 à la présidence de l’Assemblée nationale.