Après avoir reconnu l’assassinat d’Ali Boumendjel : La France fera-t-elle de même pour Ben M’hidi ?
La reconnaissance du président français, Emmanuel Macron, de la responsabilité de l’armée coloniale française dans la «torture puis l’assassinat» de l’avocat et dirigeant politique du nationalisme algérien, Ali Boumendjel, le 23 mars 1957, est une «avancée» et un «bon geste», mais qui reste «très insuffisant», estiment des historiens.
Au delà de cette reconnaissance, qui prolonge celle de l’assassinat de Maurice Audin, le peuple algérien attend plus : des excuses claires, franches, sincères et des réparations», affirme dans une déclaration à l’APS, Mohammed Ould Si Kaddour El-Korso.
Pour lui, la République française ne pourra pas «se dérober indéfiniment» à son devoir de mémoire, un «lourd passif» à régler, pour lui éviter «d’être soumise régulièrement à des stress et convulsions historiques».
La reconnaissance par la France de l’assassinat d’Ali Boumendjel, relance surtout l’exigence de vérité pour les autres victimes dont la disparition n’a jamais été élucidée.
« En cette même année 1957, des centaines d’autres Algériens ont subi le même sort qu’Ali Boumendjel, certes ils n’étaient ni avocats, ni ami de René Capitant (juriste et homme politique, ancien professeur de droit d’Ali Boumendjel) et leur disparition n’a pas fait la une des journaux», écrit le chercheur en histoire, Hosni Kitouni.
« Seraient-ils moins dignes de reconnaissance, leurs cas ne relèvent-ils pas des mêmes pratiques et des mêmes horreurs coloniales ?», questionne celui dont le père a été abattu par l’armée française le 17 octobre 1957, dans la région du Constantinois.
Parmi les dossiers souvent évoqués figure le sort réservé à Larbi Ben M’hidi, militant nationaliste dont la mort, dans la nuit du 3 au 4 mars 1957, a elle aussi été maquillée en suicide, comme l’avait confirmé le général français Paul Aussaresses dans un livre paru en 2001.
En 2018, Drifa Ben M’hidi, la sœur de Larbi Ben M’hidi, avait d’ailleurs interpellé Emmanuel Macron pour qu’il reconnaisse «un crime d’État».
«L’assassinat de Boumendjel avait mobilisé la corporation des avocats, des journalistes et de personnalités importantes, pendant que l’assassinat de Ben M’hidi était presque passé inaperçu, se souvient Bachir Derraïs. Aucun comité de défense n’avait été constitué pour faire pression sur le gouvernement français.»
Arrêté le 23 février 1957 lors de la bataille d’Alger, il fut atrocement torturé alors qu’il ne cessait de répéter à ses tortionnaires: « Nous vaincrons car nous représentons les forces de l’avenir radieux, quant à vous, vous serez vaincus car vous voulez arrêter le cours de l’histoire qui vous emportera dans sa course et parce que vous vous accrochez à un passé colonial pourri condamné à disparaître».
Une source d’inspiration
Figure emblématique de la Guerre de libération nationale, le martyr Larbi Ben M’hidi (1923-1957) fut le chef politique proche du combat quotidien de son peuple.
Né en 1923 à Aïn M’lila dans l’actuelle wilaya d’Oum El BouaghiMohamed-Larbi Ben M’hidi est un héros, un des symboles de la glorieuse Révolution et une personnalité emblématique.
En avril 1954, Ben M’hidi est l’un des neuf fondateurs du Comité révolutionnaire d’unité et d’action1 (CRUA) qui le 10 octobre 1954 transforment celui-ci en FLN et décident de la date du 1er novembre 1954 comme date du déclenchement de la lutte armée pour l’indépendance algérienne lors de la réunion du 25 juillet 1954 dans une modeste villa du Clos Salambier appartenant à Lyès Deriche.
On lui confie la direction de l’Oranie (wilaya V à partir de 1956) qui est sa première responsabilité ; il l’organise efficacement malgré les difficultés5.
En 1956, laissant le commandement de la wilaya V à son lieutenant Abdelhafid Boussouf, il devient membre du Conseil national de la révolution algérienne.
Dans le film documentaire d’Yves Boisset sur La Bataille d’Alger réalisé en 2006, le colonel Jacques Allaire, à l’époque lieutenant, qui avait arrêté Larbi Ben M’hidi en 1957, déclare à son sujet : « Si je reviens à l’impression qu’il m’a faite, à l’époque où je l’ai capturé, et toutes les nuits où nous avons parlé ensemble, j’aurais aimé avoir un patron comme ça de mon côté, j’aurais aimé avoir beaucoup d’hommes de cette valeur, de cette dimension, de notre côté. Parce que c’était un seigneur Ben M’Hidi. Ben M’Hidi était impressionnant de calme, de sérénité, et de conviction. Lorsque je discutais avec lui et que je lui disais: « Vous êtes le chef de la rébellion, vous voilà maintenant entre nos mains, la bataille d’Alger est perdue», et j’extrapolais un peu : « La guerre d’Algérie, vous l’avez perdue maintenant !».
Il dit : « Ne croyez pas ça ! « Et il me rappelait les chants de la résistance, le chant des Partisans: un autre prendra ma place. Voila ce qu’il m’a dit. Ben M’Hidi. Ça m’a fait de la peine de le perdre, parce que je savais qu’on ne le reverrait plus. Je subodorais».
« Je l’ai remis à l’État-major, et à une équipe qui est venue le chercher, et c’était la nuit, et bien que le règlement s’y oppose, je lui ai fait présenter les armes, parce qu’il faut reconnaître chez son adversaire la valeur et le courage. Et Ben M’Hidi était pour moi un grand monsieur et d’ailleurs son prénom, dans la résistance, c’était Akim, qui veut dire : le preux».
Les aveux de Paul Aussaresses
En 2001, dans son livre Services spéciaux, Algérie 1955-1957 (éditions Perrin), le général Aussaresses reconnaît avoir procédé à l’exécution sommaire, par pendaison maquillée en suicide, de Larbi Ben M’Hidi, dans la nuit du 3 au 4 mars 1957, les faits étant commis avec l’assentiment tacite, selon lui, de sa hiérarchie militaire et d’un juge qui aurait lu le rapport sur le prétendu suicide avant que celui-ci ait eu lieu2.
Le 5 mars 2007, dans un entretien au quotidien Le Monde, Aussaresses retrace les dernières heures de Larbi Ben M’hidi, amené d’Alger dans la Mitidja, dans la ferme désaffectée d’un colon.
Six hommes dont Aussaresses préparent l’exécution en passant une corde à travers un conduit de chauffage. L’un des hommes joue le rôle du supplicié pour vérifier que tout est au point. Il est monté sur un tabouret, a passé sa tête dans le nœud et regarde les autres provoquant un fou rire général.
Un parachutiste veut bander les yeux de Ben M’hidi. Celui-ci refuse. Le soldat répond qu’il exécute un ordre. Ben M’hidi réplique qu’il est colonel de l’ALN et qu’il sait ce que sont les ordres. Sa demande sera refusée ; il sera pendu les yeux bandés et se taira jusqu’à la fin. Pour le pendre, les bourreaux vont s’y prendre à deux fois. La première fois, la corde casse.
64 ans après sa mort, Larbi Ben M’hidi, l’homme au sourire serein demeure une source d’inspiration pour de nombreux universitaires et académiciens, curieux de faire découvrir une personnalité charismatique dévouée à la cause de sa patrie.
Son image dans la conscience populaire est forte et empreinte d’une auréole toute particulière, son calme, sa sérénité et sa conviction ont déstabilisé les généraux français qui l’ont exécuté sommairement dans la nuit du 3 au 4 mars 1957 pour ne pas avoir à le juger.
La Patrie News