Amel Abdellatif Directrice Générale des Impôts : « Il ne faudrait pas percevoir l’administration fiscale comme étant un adversaire »
Dans cet entretien qu’elle a bien voulu accorder à notre site électronique, La PatrieNews, Madame Amel Abdellatif, Directrice Générale des Impôts, considère qu’il est temps d’avoir un nouveau regard sur l’administration fiscale et sur l’impôt lui-même. Elle invite, en outre, les contribuables à ne plus percevoir l’administration fiscale comme étant un adversaire, mais au contraire, comme un acteur majeur dont la fonction essentielle consiste en la mobilisation de ressources permettant le développement du pays. « Cette mobilisation s’effectue grâce à des opérations d’informations et de sensibilisation, en privilégiant une relation partenariale pour arriver à une adhésion à l’impôt plutôt que d’aller vers le tout-répressif. » nous affirme la directrice générale des impôts dans l’entretien qui suit.
La PatrieNews : Merci de présenter à nos lecteurs la Direction Générale des Impôts (DGI)
Amel Abdellatif : La Direction Générale des Impôts est chargée de veiller à l’étude, à la proposition et à l’élaboration des textes législatifs et réglementaires d’ordre fiscal, ainsi qu’à la mise en œuvre des mesures nécessaires pour l’établissement de l’assiette et au recouvrement de l’impôt. Elle veille, également, à la préparation et à la négociation des conventions fiscales internationales et des accords internationaux comportant des dispositions fiscales ou parafiscales.
Par ailleurs, la DGI est chargée de mettre en œuvre les mesures nécessaires de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ; de veiller à la prise en charge du contentieux administratif et judiciaire concernant les impôts, droits et taxes de toute nature et de mettre en œuvre les instruments d’analyse, de contrôle de gestion et de rendement des services de l’administration fiscale.
Elle est composée de huit directions centrales dont les attributions sont définies en fonction des différentes fonctions de l’impôt et suivant les missions que je viens de vous citer
La DGI est également dotée de services déconcentrés, chargés de la gestion des aspects opérationnels de l’impôt (l’assiette et la liquidation de l’impôt, le recouvrement, le contrôle et le contentieux). Elle est organisée en services à compétence régionale et d’autres dont la compétence est exercée au niveau de la wilaya.
La Patrie News : Quid de votre programme de modernisation de l’Administration fiscale à travers le lancement du système d’information “Jibaya’tic” dans différentes structures au niveau de plusieurs wilayas du pays ?
Amel Abdellatif : Le ministère des Finances, par le biais de la DGI, s’est lancé depuis quelques années dans un vaste programme de modernisation de l’administration fiscale. Ce programme comprend un volet organisationnel fondé sur le principe de l’interlocuteur unique, à travers l’institution de la Direction des Grandes Entreprises (DGE) pour les entreprises à grands comptes, les Centres des Impôts (CDI) pour les PME et les professionnels soumis au régime du réel et les Centres de Proximité des Impôts (CPI) couvrant les autres catégories de contribuables. Par ailleurs, cette nouvelle organisation a été accompagnée de modes de gestion modernes, s’appuyant sur des procédures dématérialisées grâce à un système d’information intégré.
En effet, une avancée significative a été réalisée ces dernières années avec le déploiement du système d’information Jibaya’tic. Ainsi, jusqu’au 31-12-2020, vingt-neuf (29) structures ont été déployées, à savoir, la Direction des Grandes Entreprises (DGE), vingt-cinq (25) CDI et trois (03) CPI.
Il faut savoir que durant le dernier trimestre de l’année 2020, Jibaya’tic a été déployé sur cinq centres. Aussi, ce déploiement se fera progressivement, au fur et à mesure de l’achèvement des sites et de leur dotation en infrastructures techniques. D’ailleurs, on a réussi, le 1er février de cette année, à déployer Jibaya’tic sur le CPI de Sidi-Ali, dans la wilaya de Mostaganem. A terme, lorsque tous les sites seront dotés de Jibaya’tic, il sera possible de disposer, au niveau central, d’une agrégation de données.
D’autres part, il est nécessaire de souligner que Jibaya’tic permet une gestion dématérialisée de plusieurs fonctionnalités telles que l’accueil du contribuable, la gestion de son dossier fiscal, les opérations comptables, la liquidation des impôts, le recouvrement , la relance des contribuables défaillants, etc…
Il offre également aux contribuables la possibilité d’accéder aux téléservices, par le biais de la télédéclaration et le télépaiement, ce qui lui facilite l’accomplissement de ses obligations fiscales et lui permet de réduire ses déplacements.
Cela étant, pour gérer la transition et en attendant le parachèvement de ce programme, plusieurs actions ont été menées par la DGI pour mettre à la disposition des contribuables des services en ligne, telles que l’immatriculation en ligne à partir du lien (https://nifenligne.mfdgi.gov.dz), aux fins d’attribution du numéro d’identifiant fiscal (NIF) dans un délai allant de 48h à 72h. D’autres part, pour faciliter l’accomplissement des obligations fiscales des contribuables, il a été mis en ligne un nombre important de déclarations et d’imprimés téléchargeables dont une grande partie sont sous forma remplissable.
Le site web de la DGI permet, également, aux utilisateurs d’avoir accès à l’information en mettant à la disposition des utilisateurs une documentation fiscale, dans les deux langues, arabe et française telle que les codes fiscaux mis à jour, les textes législatifs et réglementaires, les différents communiqués…etc.
La PatrieNews : Quelles sont les mesures prises par la DGI pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ?
Amel Abdellatif : Pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, des mesures ont été prises, notamment ces dernières années, pour permettre le recoupement de l’information. Des travaux sont, par ailleurs, prévus pour mettre en place des interfaces entre les différentes institutions détenant des informations intéressant l’administration fiscale. Il existe déjà un circuit d’informations entre les services des douanes et ceux de la DGI, depuis quelques années. Nous comptons le renforcer en prévoyant des interfaces permettant une interopérabilité entre les différentes institutions telles que le CNRC, la CNAS, la CASNOS, la CACOBATPH, le Cadastre…etc. Ainsi, le partage de ces informations entre nos différentes institutions permettra de sécuriser l’assiette fiscale.
Par ailleurs, des mesures dissuasives sont prévues à l’endroit des contribuables non respectueux de leurs obligations fiscales et qui usent de manœuvres dilatoires pour se soustraire au paiement de l’impôt, par l’aggravation des sanctions fiscales et le dépôt de plainte pour les cas de fraude fiscale avérée.
Il faut savoir qu’avant l’engagement de toute mesure coercitive, la DGI recourt préalablement à une procédure amiable, visant à sensibiliser les contribuables en proposant des dispositifs de facilitation de paiement des dettes fiscales, l’objectif étant d’arriver à une adhésion à l’impôt. Il s’agit, en effet, de faire fédérer les contribuables en mettant l’accent sur la communication afin d’établir une relation de confiance. Il ne faudrait pas voir l’administration fiscale comme étant un adversaire, mais au contraire, comme un acteur majeur dont la fonction essentielle est la mobilisation de ressources permettant le développement du pays. Nous préférons opter pour des opérations d’accompagnement et d’explication, pour drainer une population fiscale plus large et diversifiée, ce qui permettra d’élargir l’assiette fiscale. Cette adhésion, permettra de lutter contre le marché informel. Par ailleurs, afin de simplifier et d’améliorer le système fiscal algérien, plusieurs travaux ont été entamés pour la révision de la législation fiscale de manière à assurer une équité fiscale entre les contribuables. Nous allons bientôt inviter plusieurs corporations professionnelles pour des séances de travail afin de recueillir leurs suggestions et les examiner pour aboutir à des propositions de mesures répondant aux préoccupations de tous les acteurs.
La Patrie News : Quelles sont les voies et moyens adéquats pour aider les gens qui ont pratiqué le commerce informel pendant des années à intégrer le secteur économique formel ?
Amel Abdellatif : La question de l’informel est une problématique qui ne concerne pas uniquement la DGI ; elle doit être appréhendée dans un cadre global. Le législateur a déjà prévu, au plan fiscal, des régimes d’imposition simplifiés pour les petits contribuables, étant précisé que les formalités d’ouverture des dossiers fiscaux ont été assouplies de manière à les rendre accessibles à tous.
La PatrieNews : En recevant les représentants de confédérations du patronat, le Président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a plaidé pour l’accélération de la numérisation, notamment du secteur de la Finance, et en particulier les domaines, les impôts, les douanes afin de parvenir à la transparence de toutes les transactions. Quid au niveau de la DGI ?
Amel Abdellatif : La question de la transparence a été un des thèmes discutés lors des assises sur la fiscalité, organisées au cours du mois de juillet 2020. Ainsi, dans le cadre de la prise en charge des recommandations se rapportant à ce sujet, des mesures ont été insérées dans la loi de finances 2021 pour renforcer les garanties des contribuables, en assurant un débat contradictoire lors des différentes opérations de contrôle fiscal. En effet, l’administration fiscale ne peut procéder à des rappels d’impôts que dans le cadre du respect de la procédure contradictoire qui fait obligation à, celle-ci, de motiver chaque proposition de rectification de déclaration par des éléments de faits et de droit, en accordant un délai de réponse au contribuable vérifié, pour formuler ses observations et présenter les justifications nécessaires.
La PatrieNews : Mais selon vous peut-on dire que la loi de finances 2021 est favorable en matière d’imposition ?
Amel Abdellatif : La loi de finances 2021 contient plusieurs mesures fiscales s’inscrivant dans le cadre des orientations stratégiques définies par les pouvoirs publics tant au plan économique que social, lesquelles portent essentiellement sur l’encouragement de l’investissement, la promotion de la production nationale et la relance économique, l’harmonisation et la simplification des procédures fiscales et le renforcement des garanties des contribuables. Parmi ces mesures, on retrouve, à titre d’exemple, les exonérations en faveur des entreprises disposant du label « start-up » ainsi que de celles disposant du label « incubateur», la reconduction de la réduction de l’IBS en faveur des sociétés dont les actions sont cotées en bourse, pour encourager les entreprises à recourir au marché financier pour couvrir leurs besoins de financement. On peut citer, également, l’exonération des opérations d’exportation réalisées par les personnes physiques ainsi que celle prévue en matière de TVA à l’exportation pour les bijoux traditionnels en argent. Par ailleurs, à l’effet de relancer l’activité des compagnies d’assurance et réduire la pression fiscale, les dispositions de l’article 84 de la loi de finances pour 2020, ayant institué une taxe annuelle sur les véhicules automobiles et engins roulants ont été abrogées.
D’autre part, pour encourager les actions de recherche scientifiques, il a été prévu une exonération en matière de TVA et de taxe de domiciliation bancaire, au profit des services électroniques se rapportant aux abonnements à des ressources documentaires en ligne.
La PatrieNews : Et pour 2021 quels sont les objectifs et les perspectives de la DGI ?
Amel Abdellatif : A l’instar de toutes les structures du Ministère des finances, la DGI est également inscrite dans le programme de réformes des finances publiques. Ainsi le défi pour 2021 est de réviser le système fiscal algérien, de manière à le rendre plus attractif et plus accessible, pour permettre un accompagnement transparent des entreprises, constituant ainsi un levier pour l’économie. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire d’associer tous les acteurs concernés, en adoptant une approche participative. La réforme fiscale ne vise pas uniquement le système fiscal, mais elle vise également l’organisation et la qualité du service rendu au citoyen. Cette qualité de service pourra être améliorée par de meilleures conditions d’accueil, par la dématérialisation et l’offre de service à distance pour réduire les contraintes de déplacement. Ainsi, vous remarquerez que plusieurs volets sont ciblés : législatif, procédural et organisationnel, lesquels ne peuvent être édifiés sans la présence d’une ressource humaine formée et encadrée.
La PatrieNews : Enfin, je vous laisse le soin de clore…
Amel Abdellatif : Il est temps d’avoir un nouveau regard sur l’administration fiscale et sur l’impôt lui-même. En effet, l’impôt ne doit pas être perçu uniquement comme un prélèvement mais comme un moyen de redistribution économique et social. Il suffit de consulter le budget de l’Etat pour avoir une idée sur les dépenses financées à partir des recettes fiscales.
En effet, des efforts doivent être déployés en matière de communication pour faire émerger une nouvelle culture de l’impôt permettant une large adhésion de la population fiscale, en termes de contribution au développement du pays.
Entretien réalisé par Yahia Maouchi