Alice Wilson, maitresse de conférences en anthropologie à l’université de Sussex, à La Patrie News : « Je soutiens le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination, conformément au droit international »
Eminente scientifique au niveau de la prestigieuse université britannique de Sussex, Alice Wilson fait partie des grands scientifiques qui ont récemment signé une tribune mondiale dénonçant la très détestable, et illégale annonce de Trump concernant une prétendue « « marocanité du Sahara Occidental ». Elle a accepté de répondre en exclusivité aux questions de La Patrie News. Son témoignage, et ses prises de position sont lourds de sens et de puissance, au regard de ses origines anglaises. Maitrisant couramment cinq langues, elle s’exprime en connaissance de cause, pour avoir séjourné un temps dans les camps de réfugiés. Un précieux ouvrage de référence en a même résulté. « Sovereignt in Exil (souveraineté en exil ».
Entretien réalisé par Mohamed Abdoun
La Patrie News : Mme Alice Wilson, nous savons que durant près de 2 années, vous a effectué dans les camps de réfugiés sahraouis à Tindouf, un important travail de recherche qui s’est concrétisé notamment par votre livre paru il y a maintenant plus de 4 ans sous le titre « Souveraineté en exil ».
De l’avis de grand expert, ce livre est considéré comme une contribution significative non seulement aux études sur les réfugiés, mais aussi à l’anthropologie de la souveraineté, du pouvoir étatique et des identités tribales. Aussi, pour compléter les débats politiques, diplomatiques et médiatiques, qui ont lieu dans la conjoncture actuelle et qui s’intéressent notamment aux aspects militaires et sécuritaires de la question sahraouie, nous avons estimé important d’évoquer avec vous celle-ci, sous l’angle scientifique dont vous êtes l’une des compétences internationales reconnues, et ce à travers les questions suivantes et référence mondiales. La question liée à l’actualité immédiate qui vient à l’esprit, est celle d’avoir un commentaire à chaud de vote part sur ces derniers évènements, à savoir, la reprise du conflit armé d’une part, et la déclaration de Trump sur la « marocanité du Sahara Occidental »….
Alice Wilson : Pour tous ceux qui s’engagent à respecter le droit international et le droit à l’autodétermination, la reconnaissance par les États-Unis des revendications marocaines de souveraineté sur le Sahara occidental est une grande déception et extrêmement préoccupante.
Quelle est votre opinion sur la problématique de l’Etat sahraoui indépendant pour lequel le Peuple de ce pays lutte depuis 45 ans, par rapport aux différents éléments constitutifs inclus dans la définition de l’État en droit international a savoir : le territoire, le gouvernement, la population.
Il est clair qu’il existe un territoire, un gouvernement et un peuple qui peuvent former la base d’un État sahraoui. La République Arabe Sahraouie Démocratique a déjà formé un gouvernement qui administre une population civile et qui gouverne une partie du territoire que le Front Polisario revendique. L’un des grands problèmes auxquels le mouvement d’autodétermination sahraoui est confronté ne concerne pas le caractère du territoire, du peuple ou du gouvernement en question, mais l’absence des voies d’exécution efficace des décisions de justice internationale. Ainsi, on dit aux Sahraouis depuis des décennies qu’ils ont droit à l’autodétermination, mais la communauté internationale manque de moyen efficace pour imposer l’exécution de ce droit.
A la lumière de vos travaux et de l’intérêt assidu que vous accordez à la question sahraouie, expliquez-nous comment, selon vous, le Front Polisario a pu mettre en œuvre une stratégie multidimensionnelles pour construire cet État dénommé ” République Arabe Sahraouie Démocratique” (RASD) et à quel point il a réussi dans cette lourde entreprise?
Les Sahraouis se sont mobilisés sur plusieurs fronts pour organiser leur État, la RASD. La RASD compte sur des officiers élus et des fonctionnaires qui travaillent dans les ministères qui gouvernent la population exilée en Algérie et les personnes dans les régions du Sahara occidental contrôlées par le Front Polisario. La RASD a sa propre bureaucracie : elle délivre des passeports, des cartes d’identité, des permis de conduire et des plaques d’immatriculation pour les voitures. La RASD a son code pénal et son service de police, elle a son système de cours de justice, et elle impose des peines à ceux qui enfreignent le code pénal de la RASD. Depuis multiples endroits – les camps de réfugiés en Algérie, le Sahara occidental contrôlé par le Polisario, le Sahara occidental contrôlé par le Maroc et d’autres communautés de la diaspora sahraouie en Afrique du Nord, en Europe et au-delà – les Sahraouis participent aux activités de gouvernance de la RASD, par exemple en votant lors des élections. Tout cela fait preuve de l’énergie que les Sahraouis ont investi dans la RASD, depuis plus de 40 ans et impliquant de nouvelles générations. Cela montre à quel point il est fort probable que les Sahraouis continueront de rechercher la réalisation de leur droit à l’autodétermination.
Face à cette démarche du Front Polisario, le Maroc a entrepris une politique de colonisation des territoires sahraouis « à l’israélienne », croyez-vous que cela va lui permettre d’empêcher les Sahraouis d’atteindre leur objectif ?
Les Sahraouis sont extrêmement engagés dans leur lutte pour l’autodétermination, et ils cherchent également à l’avenir à vivre en paix avec les Marocains.
Avez-vous obtenu le droit de visiter les territoires occupés de la part du royaume marocain, où la question de la répression et les droits de l’Homme se pose avec acuité, sachant que les étrangers sont quasi-systématiquement empêchés d’accéder au Sahara Occidental ?
Toute recherche qui se déroule au Sahara occidental sous contrôle marocain et qui examine comment la présence des autorités marocaines désavantage les Sahraouis est extrêmement difficile à mener en raison de la surveillance marocaine. La sécurité des participants sahraouis est une préoccupation majeure dans une telle recherche. Les chercheurs individuels, ainsi que les comités d’éthique universitaires, prennent ces questions très au sérieux. Dans mon cas, afin de prendre toutes les précautions possibles pour éviter qu’une visite mette des Sahraouis en difficulté, avant de visiter le territoire pour mener des recherches anthropologiques sur le mariage j’ai contacté les autorités marocaines au préalable afin de leur expliquer ce but. J’ai par la suite publié une étude sociologique comparative sur l’évolution des pratiques matrimoniales sahraouies dans les zones contrôlées par le Maroc et en exil en Algérie. D’autres chercheurs qui ont passé du temps au Sahara occidental sous contrôle marocain ont écrit sur les conditions politiques. Il y a aussi des Sahraouis qui publient des informations sur les conditions politiques là-bas, comme Equipe Média. Il est extrêmement important de donner à ce travail une visibilité internationale.
Il semble que vos études vous aient menée à soutenir l’autodétermination du peuple sahraoui, voire carrément son indépendance. Pourquoi ce choix radical, et Carrément militant ?
Je soutiens le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination, conformément au droit international. C’est au peuple sahraoui de décider de son avenir politique. Je suis reconnaissante des rencontres et des conversations avec des personnes passionnées, parmi lesquelles de nombreux sahraouis, qui m’ont appris l’importance de la solidarité dans la lutte contre l’injustice.
M.A