1er Novembre 1954 : la genèse et les moments forts (2ème partie)
Flottements dans l’Algérois
Pourtant, historiquement, les premiers groupes constitués pour mener des actions étaient ceux de l’Algérois. C’est, en effet, dans la Mitidja que, sans doute, les premières actions ont eu lieu. Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, deux groupes composés de quelques dizaines d’hommes s’apprêtaient à attaquer deux casernes de l’armée françaises à Boufarik et à Blida. Dans cette dernière ville, le groupe était sous la conduite de Rabah Bitat lui-même, chef de la wilaya IV.
Il est à la tête d’une vingtaine d’hommes, venus essentiellement de Kabylie après la défection tardive de la plupart des militants locaux qui s’étaient engagés au départ pour mener des actions. Nonobstant ces désagréments, aggravés par le manque d’armes –selon des témoignages, ils ne disposaient ce jour-là en tout et pour tout que de deux armes à feu, selon Belhadj Bouchaib, l’adjoint de Bitat- les combattants ont pu s’introduire dans la dite caserne et ont réussi à récupérer un important lot d’armes, avant de se replier rapidement.
A Boufarik, le second groupe conduit par Amar Ouamrane, ancien adjoint de Krim Belkacem et chef opérationnel de la zone IV, souffrait des mêmes lacunes. Il avait comme mission principale, lui aussi, de récupérer des armes, avec la complicité d’un soldat algérien de faction, qui n’est autre que le frère de Lakhdar Ben Tobbal.
L’histoire retiendra que c’est le groupe de Boufarik, avec un Souidani Boudjemaa pour seconder Ouamrane, qui lancera la première action militaire digne de ce nom dans la guerre qui commence. Il s’agit des premières actions spectaculaires : des bombes artisanales posées sur la route Blida-Boufarik et sur la voie ferrée Alger-Oran.
Cela s’est passé exactement à 23 h 45. C’est-à-dire un quart d’heure avant l’heure « H ». Ce qui a fait dire à certains historiens que la guerre de Libération nationale a commencé, non pas le 1er novembre, mais le 31 octobre.
Dans l’Algérois, pourtant, il y eut plusieurs opérations déclenchées dans l’intérieur de la région et qui ont eu un certain succès. Cinq objectifs ont été retenus, que doivent attaquer, vers 1 heure du matin, autant de commandos composés de cinq à dix hommes.On peut citer, à titre d’exemple, l’incendie d’une coopérative d’agrumes et d’un dépôt de liègeappartenant à l’influent sénateur Borgeaud, le plus célèbre représentant de la grande colonisation.
D’autres actions ont connu moins de succès, comme les attaques prévues contre l’usine à gaz de l’EGA (Electricité et gaz d’Algérie), un dépôt d’hydrocarbures sur le port et l’immeuble de la radio, qui ont été bien attaquées, mais n’ont subi que des dommages très légers, en raison sans doute de l’impréparation et, encore une fois, d’un manque d’encadrement et d’armement. Incapables de s’introduire au siège de la radio, les fidayinese contentent de déposer trois bombes sur des rebords de fenêtre.Une seule explosera, sans grand effet.
Oranie : Cassaigne l’étincelle
En Oranie, la situation était encore plus complexe. Le premier responsable, Larbi Ben M’Hidi, secondé par AbdelhafidBoussouf et Ramdane Abdelmalek, tous originaires de l’Est du pays, ne disposaient, pour toute la région, que d’une soixantaine de combattants et d’une dizaine d’armes de guerre. Dans ces conditions, il leur était quasiment impossible d’envisager des attaques d’envergure, comme ce fut le cas dans les Aurès ou dans l’Algérois.
Mais, des attaques ont été tout de même été menées, ne serait-ce que pour marquer symboliquement l’événement. Ainsi, quelques fermes, un transformateur, une gendarmerie et une mairie furent notamment ciblés par les moudjahidines de la première heure, même si les dégâts déplorés par l’ennemi étaient minimes. Cela dit, les opérations de cette nuit bénie ont fait un mort et quelques blessés européens, notamment lors de l’attaque de la gendarmerie de Cassaigne. Cette action marqua le début d’une longue série dans la région de l’Ouest.
Témoignage d’un moudjahid de Mostaganem
Hadj Benhamiti a pris part aux premières opérations militaires du 1er novembre 1954 dans les communes de Dahra et Sidi Ali, qui dépendaient administrativement de la ville de Mostaganem. Dans un témoignage, il décrit le climat psychologique lourd qui régnait à la veille du déclenchement de l’insurrection, et les luttes intestinesentre messalistes et centralistes qui tendaient à démoraliser la base militante, qui, elle, attendait le signal pour à l’action directe. Sous les directives de Ramdane Benabdelmalek et Amar Bordji, le moudjahid Hadj Benhamitifut derrière la première attaque contre les gendarmes de la commune de Dahra, dans le but de récupérer des armes.
«Au moment de l’attaque, un colon affolé a couru pour signaler au bureau de la gendarmerie l’incendie qui ravageait sa ferme. Nous avons tiré et la balle a atteint le colon. C’était la première personne tuée en cette nuit de novembre 1954», affirme-t-il.
Le Nord-Constantinois : défections inexpliquées
Pour les mêmes raisons liées à l’impréparation et aux faibles moyens, le chef désigné pour le Nord-Constantinois (Zone II), Didouche Mourad, doit contenter d’organiser quelques escarmouches, pour marque l’événement, sans même toucher la villede Constantine, le principal fief de la zone.
D’ailleurs, au sujet de Constantine, des acteurs ont pointé du doigt la défection « jamais expliqué » des militants à l’heure H, alors que quatre membres importants du groupe des « 22 » étaient présents aux réunions qui avaient approuvé le passage à l’action armée.Les témoignages à ce sujet sont contradictoires, mais s’accordent sur une grave défaillance. Mechati et Youssef Haddad ont invoqué des irrégularités qui auraient entaché le déroulement de la désignation des membres du commandement de la Révolution. Selon Mohamed Harbi qui a recueilli leurs témoignages : «La réunion n’avait pas de caractère démocratique.
Elle a adopté le principe de la cooptation et nous étions contre la cooptation. Nous voulions nous référer en tout à la base du parti. Nous demandions également que les délégués à l’extérieur soient désignés démocratiquement. Et nous craignions que notre organisation ne soit livrée aux Centralistes».
Cela dit, pour Didouche, comme pour ses compagnons, le vrai succès c’est d’avoir proclamé la lutte armée, d’avoir «allumer la mèche» selon l’expression du chef du Nord-Constantinois, en attaquant simultanément des cibles coloniales sur un front qui s’étend à 1 500 kilomètres, avec si peu de moyens et un nombre de combattants si limité.
Les Aurès : le baptême de feu
La région des Aurès-Nemamachas fut la première à répondre à l’appel du 1er Novembre en menant les premières actions contre des cibles coloniales et en montrant la voix aux autres zones du pays, même si tout ne s’est pas passé comme prévu.Toute la région, de Khenchela à Biskra, en passant par le mont Chelia, fut secouée par une série d’attentats d’envergure.
Dans la nuit du 1er novembre 1954, les premiers groupes de moudjahidine attaqua la caserne de la ville de Batna. Sur la route de Biskra et Arris, un caïd et deux instituteurs français (école de Tifelfel) seront abattus par les hommes de l’ALN.
Vite, le chef historique des Aurès, Mostefa Benboulaid, décela des failles, et constata la défection de certains éléments qui étaient chargés de missions importantes. Ainsi, selon le plan établi, Ahmed Nouaoura, à la tête d’une section, devait mener une attaque à Arris cette nuit-là, mais a fait faux bond à la dernière minute. Un autre ratage à Batna, à cause de la défection d’un camionneur chargé d’acheminer des armes. Ce qui obligea Benboulaid à emprunter des véhicules pour déplacer une trentaine d’hommes mobilisés. C’est ainsi seulement que d’autres actions ont été exécutées, ciblant une sous-préfecture, deux casernes, une poudrière, des locaux de la gendarmerie et une station d’essence. Dans ce baptême de feu, deux soldats français ont été abattus.
Durant la même nuit, un autre groupe sous la conduite de Abbas Laghrour était chargé de prendre d’attaque la ville de Khenchla. Mais, là aussi, la défection d’un chef de section, obligea Laghrour à se démener pour parer au plus pressé. Il conduit lui-même l’assaut du Bordj de la commune mixte où l’administrateur avait évité la mort de justesse, où le sous-lieutenant, commandant la minuscule garnison, et un soldat avaient été tués, le commissariat de police et le bureau des PTT assaillis.
Au même moment, à T’kout, Taberdga et Ouldja, des locaux de la gendarmerie ont été mitraillés, un caid ciblé par des tirs, une école incendiée, des poteaux téléphoniques et d’autres actes de sabotage. A Zalatou, les locaux de la gendarmerie furent la cible des moudjahidine. A l’est de la Batna, une mine de plomb fut prise d’assaut, mais une forte riposte de l’armée française repoussa les moudjahidine
Cela dit, l’évènement le plus marquant dans les Aurès est indéniablement la fameuse attaque d’Arris : l’attaque tout à fait accidentelle qui tua un couple d’enseignants français. L’auteur de la fusillade, Mohamed Sebaïhai, sera sévèrement sermonné le lendemain par Mostefa Benboulaïd qui lui rappela que son rôle était de distribuer des tracts. Pour justifier l’acte, Sebaïhi montrera l’arme avec laquelle le caïd les avait menacés.
On note également dans la vaste Zone I, une série d’actions : à Batna, coups de feu sur la voiture du colonel Blanche, commandant la subdivision. A Biskra, attaque de la gare, du bureau des PTT, de la centrale électrique, de la caserne et du commissariat de police.
Le 1er novembre, à 3 heures du matin, Mostefa Benboulaïd réunit ses principaux collaborateurs à Tafrent Ouled Aïcha. D’après les témoignages, Benboulaïd jugea le bilan en deçà de ses attentes, malgré un déploiement important des moudjahidine, estimés à près de 150, au premier jour. Il ne s’expliquait pas pourquoi dans certaines régions réputées très engagées, comme Arris, aucune action n’a été enregistrée.
Kabylie : l’armée coloniale affolée
Le soir du 31 octobre 1954, tout s’est passé comme prévu, en Kabylie. Les attaques furent lancées simultanément le 1er novembre 1954 à minuit dans plusieurs régions de Kabylie suivant le plan préétabli. Avec quelques 450 hommes mobilisés, le commandement de la Zone I réussit plusieurs coups de maître, mais une partie de ces troupes sera vite orienté vers la zone II (l’Algérois-Mitidja) pour renforcer les rangs de l’ALN en difficulté dans cette région.
La première action eut lieu à Azazga, où les combattants de l’ALN attaquèrent le poste de gendarmerie avant d’incendier le dépôt de liège de l’administration des forêts. Les moudjahidines y ont également coupé les poteaux téléphoniques, isolant ainsi la région d’Azazga du reste du monde.
D’autres opérations de sabotage ont été effectuées notamment à Boghni, Dellys, Bordj-Menail, Akbou… A Draa El Mizan, région natale de KrimBelkacem, un garde champêtre a été tuédans une attaque menée par les moudjahidine. Un autre garde-champêtre a été abattu au même moment à Tizi N’Tlata. A quelques encablures de là, à Tadmait et Boghni, des postes de l’armée françaises ont été attaqués et endommagés.
A Bordj Menaïl, Sidi Daoud et Nacéria, des fermes gérées par des colons ont été brûlés par un groupe de maquisards. Apas loin de là, à Baghlia, un bus appartenant à un colon a été brûlé par des fidayine. Mais de l’avis de la plupart des acteurs de ces événements, les actions synchronisées dans les régions de Kabylie étaient en-déca des attentes, comparativement aux autres zones.
En guise de riposte à ces attaques, l’armée coloniale mena, dès le lendemain, une expédition punitive ciblant plusieurs villages de la région, comme Ighil-Imoula, village où avait été tirée la déclaration du 1er Novembre. Le village a été encerclé, puis livré à des actes de saccage et de viol.
Même scénario vécue par les villageois dans la région de Baghlia, Sidi Daoud et Tizi Ghennif. A Sid-Ali Bounab, des dizaines de villageois ont été torturés, puis froidement exécutés pour avoir apporté leur aide aux moudjahidine.
Adel Fathi